• L'obsession de la santé parfaite

    par Pierre MARSAL

     

    Bonne santé, bonne santé, il en est question dans la plupart des échanges de ce blog, quels que soient leurs intitulés. Une véritable obsession.

    C’est quoi une bonne santé ?

    En y réfléchissant j’avoue que je n’en sais rien.

    Est-ce se sentir bien dans sa peau ? Mais on peut se sentir bien et avoir quelques problèmes mineurs.

    Est-ce posséder tous les paramètres quantitatifs reconnus comme normaux par le corps médical (poids, tension, formule sanguine, etc.) ? Mais à ce compte-là un esquimau ou un habitant des hauts plateaux andins ou du Népal n’aura pas les mêmes normes. Il ne sera pas « normal ».

    Est-ce ne consommer aucun médicament, officiel ou alternatif ?

    Est-ce tout simplement « la vie dans le silence des organes » comme le disait un médecin du début du siècle précédent ? Rien n’est moins sûr car il y a de graves maladies qui sont initialement sans symptômes.

    Est-ce… Est-ce…Je n’en sais fichtre rien.

    Bien sûr pour les adaptes du docteur Knock « Toute personne en bonne santé est un malade qui s’ignore ».

    Finalement ce n’est pas aussi idiot que cela paraît. D’abord parce que nous sommes tous malades de la Vie, « une maladie mortelle sexuellement transmissible » (Woody Allen).

    Plus sérieusement, le concept de bonne santé est une notion relative, difficile à définir. Pour essayer de s’y retrouver il faut lire (et relire) le lumineux article de Georges Canguilhem, médecin et philosophe (Le normal et le pathologique1). On y apprend d’abord, entre mille autres choses que je ne saurais décrire ici, qu’il y a une continuité entre maladie et bonne santé (ce n’est pas l’une ou l’autre) : la frontière entre normal et pathologique est imprécise et fluctuante. Ne serait-ce qu’en raison de la capacité d’adaptation de l’être humain à son milieu.

    De toutes les « pépites » que renferme ce texte, retenons ceci : « c’est parce que la valeur est dans le vivant qu’aucun jugement de valeur concernant son existence n’est posé sur lui ».

    Par ailleurs Canguilhem va jusqu’à évoquer longuement la « maladie de l’homme normal » qui s’interroge sur sa normalité.

    Bien des années plus tard (1999) Ivan Illich, dans un article publié dans le Monde Diplomatique2 évoque « L’obsession de la santé parfaite » devenue un facteur pathogène prédominant dans les pays développés.

    C’est grave docteur ?

     

    1 Texte d’un article (1951) repris dans l’ouvrage qui en rassemble plusieurs autres sous le titre : La connaissance de la vie, Vrin édit., 1965 et 2003.

     

    « COVID 19 : quelles sont nos responsabilités ?Qu’est-ce que le fondement de l’Art ? Est-ce une création ou découle-t-il de la réalité ? »

  • Commentaires

    1
    Lundi 13 Avril 2020 à 18:03

    Tout à fait d'accord : il n'y a pas de solution de continuité entre être ou ne pas être malade. Si je suis malade, mais que je me soigne de manière à vivre normalement et sans souffrir, je suis tout près d'être en bonne santé. Car nous devons mourir tous un jour, un peu plus tôt ou un peu plus tard, que nous soyons en bonne santé ou pas.

    J'ajouterai qu'il n'y a qu'une seule cause de mortalité, c'est l'arrêt cardiaque. Toutes les autres maladies ne sont que des prémices, des préparations conduisant à l'arrêt de la pompe. D'ailleurs, je crois bien que la définition légale de la mort, c'est l'arrêt cardiaque.

    L'article de Illich est fort intéressant. Je me suis souvent demandé, et je me demande encore, pourquoi on n'avait pas de problèmes avec les soins à l'hôpital il y a quelques décennies, alors qu'on avait infiniment moins de moyens qu'aujourd'hui. Pourquoi cette inflation de moyens et de coûts conduit-elle à une insatisfaction grandissante  de la part des soignants comme des patients ? Illitch y répond dès le début de son article, en disant que plus on a de moyens, plus on se trouve de maladies, et plus on devient exigeants vis à vis d'une sorte de "droit à la vie" que les soignants ont l'obligation de satisfaire quel que soit l'âge qu'on a.

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    2
    Mercredi 15 Avril 2020 à 20:45

    Je dirais bien: la santé, d'accord, mais pourquoi faire? Si c'est pour ne rien faire, alors ce n'est pas la peine. Je préfèrerais être malade mais actif (dans tous les sens du terme, y compris intellectuel), qu'avoir une excellente santé, mais m'emmerder. Et d'ailleurs, ne sommes nous pas guettés par l'ennui, le pire agent pathogène qui soit?

      • charlotte
        Mardi 21 Avril 2020 à 17:57

        Etrange, ta réponse, Benoît : tu préfères dis-tu être malade et actif plutôt qu'être en bonne santé et t'emm… r. Parce que pour toi ce serait l'un ou l'autre ? Pas de martingale possible ?  

        "La frontière entre le normal et le pathologique est imprécise et fluctuante, nous dit Pierre, ne serait-ce qu'en raison de la capacité de l'être humain à s'adapter à son milieu. " Et là je suis d'autant plus d'accord avec lui que je l'ai éprouvé il y a peu de temps lors de ma "longue" maladie. Aucun doute, à voir comme ça, je n'étais pas du tout en bonne santé, et pourtant ! Pourtant j'étais tellement bien entourée, chaque fois que quelqu'un entrait dans ma chambre, c'était pour s'occuper de moi.  Je les accueillais toujours avec beaucoup de plaisir dans ma chambre. On me soignait, j'étais complètement inactive et  ne me faisais aucun souci sur l'issue  que pouvait avoir cette aventure. J'étais en paix, dans un état d'une normalité au-dessus de la moyenne donc en très bonne santé et puis…  advienne que pourra !    

    3
    Mardi 21 Avril 2020 à 18:32

    En tous cas, Charlotte, tu étais certes malade, mais tu ne t'emmerdais pas, à ce que tu dis.

    Pour préciser ce que je pense, être actif, avoir un but dans la vie, donner un sens à sa vie, etc... tout cela est une bonne protection contre la maladie. Ce qui ne veut absolument pas dire que tomber malade prouve qu'on s'emmerde dans la vie! J'ai appris à ne pas dire à un malade que c'était de sa faute s'il n'allait pas bien; et pourtant, quand j'étais bénévole en soins palliatifs, j'étais tenté de penser que les fumeurs ne l'avaient pas volé! Non, la maladie est quelque chose de mystérieux, et l'on voit des fumeurs invétérés se porter comme des charmes à plus de 80 ans. Ne pas confondre: le tabac nuit à la santé",  ce qui est vrai, avec "cette personne est morte du cancer du fumeur", ce qui ne peut être démontré  (sauf peut-être par les médecins spécialistes, mais je n'en suis pas) et est insupportable.

    4
    Pierre M.
    Mercredi 22 Avril 2020 à 10:03

    Entièrement d’accord avec Benoît.

    Une chanson que les « anciens » apprenaient aux bizuths (désolé pour sa grossièreté mais les chansons d’étudiants ne font pas dans la délicatesse :

     

    « Il vaut mieux boire et dégueuler, que de n’pas boire et s’emmerder ».

     

    Après tout, de quel droit empêcherions-nous quiconque de faire ce qu’il veut de sa vie dans la mesure où il ne nuit à autrui ? Bien sûr c’est regrettable que cette personne n’ait pas pris conscience de l’incommensurable valeur de la Vie et de la nécessité de la magnifier. Mais un ivrogne, un camé, demeurent des êtres humains, avec toutes leurs richesses et leurs contradictions.

     

    On objectera que leurs vices coûtent cher à la société, ne serait-ce qu’en soins médicaux. Mais depuis quand mesure-t-on la valeur d’un être humain à son coût économique ? A ce compte-là, les drogués de la bagnole coûtent encore plus cher : preuve en est que ma mutuelle d’assurance s’apprête à rétrocéder à ses sociétaires l’excédent financier consécutif à la diminution des accidents de voiture en période de confinement (notons que ce n’est pas une compagnie d’assurances privée qui en ferait autant).

     

    Une autre catégorie de personnes en « mauvaise santé » ce sont les handicapés, les infirmes. Dans la logique de la bien-pensance sanitaire doit-on les ostraciser ? En dehors du fait que ce sont des êtres humains comme les autres ils apportent aussi beaucoup à la collectivité. Il y eu des infirmes poètes : Scarron (époux de la future Madame de Maintenon) ; hommes politiques : Couthon (ami de Robespierre), etc.

     

     

      • charlotte
        Mercredi 22 Avril 2020 à 14:24

        D'abord, Scarron était un vieux cochon et cette petite Françoise d'Aubigné a été bien malheureuse avec lui. Heureusement qu'il était handicapé ! Il écrivait des poèmes, soit, mais qui  ont disparu dans les oubliettes réservées aux écritures de mauvaise facture.  

        Autre chose : pourquoi vous complaisez-vous dans la paillardise, vous, les hommes ? Est-ce que vous imaginez qu'ainsi votre succès auprès de la gente féminine est assuré ? Ou alors est-ce une façon de l'éliminer de vos parties de rigolade ? je me suis souvent posé la question au temps de ma jeunesse... folle, comme on dit.  Et là, je vois que vous y allez de bon cœur avec les "potacheries" et autres "carabineries".

        Allons messieurs, nous sommes lus paraît-il sur tous les continents. 

        Je vais vous paraître bien bégueule n'est-ce pas ? C'est qu'à avoir moi aussi roulé sur bien des continents j'ai fini par me policer. 

         

         

         

         

         

         

         

         

    5
    Mercredi 22 Avril 2020 à 16:56

    J'ai écrit "emmerdé", est-ce se rouler dans la paillardise?

    En fait tu attaques un point sensible: ces plaisanteries de potaches ne sont elles pas liée à un certaine peur de ne pas trouver l'âme soeur? Evidemment, cela disparaît avec l'age adulte. En allant plus loin, pourquoi les hommes ont-ils été attiré par la guerre? n'est ce pas la peur du confinement familial? Bon, il n'y a sans doute pas que cela, mais cela doit exister parmi les raisons de faire la guerre.

      • Pierre M.
        Mercredi 22 Avril 2020 à 17:46

        Réponse à Charlotte

        Ce pauvre Scarron. Pourquoi tant de haine pour un malheureux infirme ? Je ne savais pas ces détails sur sa libido de « vieux cochon ». De nous deux qui est le plus axés sur la paillardise ? Au point de regarder du côté que je ne regardais pas. On disait de lui qu’il avait un bel esprit et ses œuvres furent renommées de son temps. Il est aujourd’hui oublié. Est-ce un effet de mode ? Reviendra-t-il un jour ?

        On a bien oublié Jean-Sébastien Bach pendant plus d’un siècle.

        Quant à la Maintenon, elle ne serait pas devenue ce qu’elle fut si Scarron ne l’avait pas épousée, jeunette et sans le sou.

    6
    Lundi 25 Mai 2020 à 16:35

    Quel est l’avantage d’être malade ? Je n’en vois aucun si ce n’est de susciter la compassion des autres. Je ne pense pas que la plupart des gens soient obsédés par la santé. Comme je vis à la campagne, je vois comment les gens vivent et je fais partie de cette minorité de jeunes retraités qui font du sport ; la plupart se contentent de jardiner ce qui est plutôt une bonne chose. Tous mes ancêtres ont mal fini leur vie. Je viens de perdre le frère de mon père à 86 ans qui avait perdu sa tête, comme la sœur de mon père encore vivante mais dont les propos sont totalement incohérents. Le point commun de mes ancêtres, c’est que tous étaient en surpoids et ils ont certainement dû ronfler ce qui était le cas de mes grands parents maternels et de ma mère. Ma femme qui est en surpoids commence à ronfler, ce qui est désagréable et mauvais signe. Le seul qui ait réussi sa fin de vie dans mon entourage est mon beau père qui à 94 ans profite encore de la vie même s’il doit s’ennuyer un peu comme tous les vieux.  A partir d’un certain âge, il n’y a plus les plaisirs de la chair au lit et il ne reste plus que les plaisirs de la chair à table et c’est là que la plupart des gens tombent dans le piège. Je n’ai jamais compris pourquoi quelqu’un qui fume ou mange de la pâtisserie profite plus de la vie que quelqu’un qui ne fume pas et ne mange pas de la pâtisserie. Bien sûr ce n’est pas une science exacte et certains fumeurs meurent à un âge avancé mais les statistiques sont là pour nous rappeler que l’immense majorité des fumeurs finissent mal. Et puis quelqu’un qui est malade est un fardeau pour son entourage. Vous êtes obligé d’aller à l’hôpital régulièrement pour aller voir quelqu’un qui ne vous reconnait pas vraiment ou qui ne s’intéresse plus à rien.  Je ne suis pas sûr de réussir ma fin de vie mais au moins j’aurais essayé.  Jean-Paul

    7
    Pierre M.
    Lundi 25 Mai 2020 à 23:39

    Il se confirme donc  bien que l'obsession de la santé parfaite est une triste maladie.

    Il y a tout de même bien d'autres valeurs dans la vie.

    Sinon c'est désespérant.

     

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