• Le virus est-il raciste ?

    par Pierre MARSAL

    3 novembre 2020

     

    En ce début de novembre la pandémie de Covid-19 est en pleine expansion dans nos pays occidentaux. Seconde vague, peut-être troisième vague, toujours est-il que les compteurs s’affolent : plus de 550 décès par million d’habitants en France, plus de 700 aux USA, plus de 1000 en Belgique mais aussi au Pérou.

    Pourtant en Extrême-Orient, là d’où provient le mal, la Covid-19 est pratiquement enrayée et les macabres statistiques sont nettement moins catastrophiques (à peine plus de 3 en Chine, 9 en Corée du Sud, un peu plus de 10 au Japon, et encore moins à Taïwan).

    Comment expliquer de telles différences ? Certainement pas la couleur de la peau ! Les différences de systèmes économiques, politiques et sociaux ? Non plus : Chine et Japon sont aux antipodes de ce point de vue. Il resterait la question culturelle. Ce qui apparente ces pays extrêmes orientaux ce sont effectivement leurs racines culturelles, les fondamentaux qui président à leur comportement et à leur éthique. Sans entrer ici dans le détail on prendra l’exemple de la Chine, le géant asiatique.

    La différence fondamentale entre eux et nous réside dans leur conception des relations de l’homme et de la société. Alors que nous autres occidentaux mettons l’accent sur l’individu, les orientaux privilégient le collectif. En matière d’éthique est emblématique l’impératif catégorique de Kant dont un des énoncés est le suivant

    « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle ». C’est très clair. Même si depuis d’autres conceptions de l’éthique ont vu le jour (éthiques de la conviction, de la responsabilité, de la discussion, etc.) ont vu le jour, toutes ont l’individu comme acteur central.

    Il n’en va pas de même en Chine : l’individu n’est rien sans la collectivité. Et ce n’est pas depuis l’avènement du communisme. Comme l’écrivait Maurice Granet, pour les Chinois « l’homme doit tout à la civilisation : il lui doit l’équilibre, la santé, la qualité de son être. Jamais les Chinois ne considèrent l’homme en l’isolant de la société ; jamais ils n’isolent la société de la Nature. » (La pensée chinoise, 1934, p. 244). Plus récemment, citant le penseur confucéen Mencius (3 siècles avant notre ère), François Julien explicite sa pensée : « L’individualité, telle qu’il l’entend, est indissociable du phénomène d’interaction : l’individu existe donc bien, mais au lieu d’être perçu dans la perspective isolante d’un moi sujet, il est envisagé d’emblée comme partie prenante d’une relation » (Dialogue sur la morale, 1995, p. 31).

    Tout n’est que relations pour les Chinois, d’ailleurs la langue elle-même est conçue de la sorte : ainsi, alors que pour nous le mot « paysage » est un concept unitaire, il est traduit chez eux par deux caractères « haut-bas » ou «  montagnes-eaux ».

    Alors, comme l’écrivait encore Maurice Granet « Le bien sort d’un perfectionnement imposé par la société, — seule capable de tirer de l’homme brut des individualités morales » (op. cit. p.332). Cela peut expliquer notamment, sans le justifier, le peu d’enthousiasme de ce peuple pour notre Déclaration des droits de l’Homme, jugée trop individualiste. Mais il ne faudrait pas se méprendre : partant d’un a priori autre, la société chinoise en déduit des conséquences souvent identiques en matière d’éthique des relations interpersonnelles (bienveillance, compassion, entraide, altruisme, etc.). On peut finalement résumer leur attitude ainsi : l’individu doit rechercher le bien collectif car c’est le collectif qui assure le bien de l’individu.

    Avouons que ce n’est pas notre cas dans la conjoncture actuelle : chacun d’entre nous – moi le premier – plaide pour la réouverture de son commerce préféré. Chacun essaie de jouer avec les contraintes qui lui sont imposées. Nous nous préoccupons d’abord de notre intérêt personnel à court terme sans nous rendre compte qu’il peut en résulter de graves difficultés à plus ou moins longue échéance.

    Mon propos n’est ni de féliciter ni de condamner, seulement d’essayer de comprendre ce qui est en train de donner un avantage stratégique important aux peuples asiatiques. Alors que, surtout en période de crise, on a toujours tendance à trouver en l’Autre un bouc émissaire, il faudrait au contraire essayer de tirer des leçons sur ce que d’autres civilisations peuvent nous apporter : les Chinois, comme les Arabes, comme ce qu’on appelle curieusement les « civilisations premières » dont subsiste encore quelques échantillons.

     

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 15 Novembre 2020 à 17:28

    Dans un billet ultérieur tu sembles critiquer le Conseil de défense qui, en France, conseille le gouvernement dans sa stratégie antivirus, au prix de quelques minimes atteintes à la liberté individuelle. ici, sans toutefois faire le panégyrique de la Chine, tu admires l'efficacité de la dictature communiste pour réduire à zéro la pandémie, et tu attribues les mêmes succès japonais et coréen aux différences culturelles des asiatiques qui mettent le collectif au dessus de l'individu. Nous n'avons pas la même culture, mais il me semble que tous les français doivent bien être capables de comprendre les enjeux d'un petit recul provisoire des libertés pour la mise en place d'une stratégie efficace et surtout qui doit s'adapter rapidement à tous les changements de dangerosité du virus en by-passant de temps à autres les débats interminables du Parlement qui nuisent à l'efficacité de mesures qui, somme toute, ne sont en rien abominables.

    Par ailleurs, ton texte est une excellente contribution au débat qui a eu lieu hier sur la question de l'individualisme.

    http://quentin-philo.eklablog.com/l-individualisme-une-force-ou-une-faiblesse-pour-la-societe-francaise-a204083984

     

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