• "Un pognon de dingues !" et "Quoi qu'il en coûte !"

    par Pierre MARSAL

    1er décembre 2020


    La conjonction de ces deux expressions du président Macron1, résume bien la situation économique et financière présente. Pour faire face aux conséquences générées par la pandémie virale actuelle, des flots de « pognon », apparemment créés ex nihilo, se déversent sur les acteurs économiques. D’où vient cette monnaie qui n’existait pas auparavant ? Quelles sont et seront les conséquences de son injection dans l’économie nationale ? Telles sont les questions qui se posent aujourd’hui et qui se résument ainsi : quid de l’endettement ?

    Il a souvent été question de l’endettement dans notre « Café-Débats ». Cela a souvent déclenché avis contradictoires et passions. Ainsi, au lendemain de la crise due aux subprimes, le 13 janvier 2010, une intéressante discussion s’était instaurée sur le thème « Nos enfants vont-ils rembourser la dette ? »2. Dix ans après, cette question se pose avec encore plus d’acuité.

     

    Il n’est pas question ici de synthétiser tout ce qui se dit et s’écrit à ce sujet. D’ailleurs une liste de références (articles, revues, livres, vidéos) serait plus longue que le corps de ce petit article. Pas question non plus d’accumuler trop d’informations chiffrées. D’ailleurs les chiffres évoluent d’un jour à l’autre. On se contente de résumer les données essentielles, les principaux enjeux et les questions qui se posent.

     

    Rappelons seulement quelques éléments : à la fin de 2020 on s’attend à une dette de l’ordre de 120 % du PIB (140 en Italie), alors que le Pacte de Stabilité et de Croissance européen (PSC), révisé en 2005, impose aux Etats membres de l’UE de ne pas dépasser 60% (en 2009 nous avions dépassé les 70%). Autre critère, celui du déficit des dépenses publiques : elles ne devraient pas outrepasser les 3% du PIB, et elles seront supérieures à 11% ! Scandaleux ? Que non. Il faut se méfier d’un soi-disant bon sens, dicté par l’orthodoxie de l’annualité budgétaire : tout dépend de l’usage qui est fait des dépenses engagées. S’il s’agit de dépenses nécessitées par des investissements productifs, il n’est pas rédhibitoire que les engagements dépassent les ressources annuelles. Un comptable dirait à juste raison que c’est une aberration de vouloir comparer un stock (celui de la dette) à un flux (le revenu qui se renouvelle chaque année). Une autre fausse évidence, de même nature, voudrait qu’au niveau global la somme des dettes annuelles ne dépasse pas la valeur totale de la production. Or la dette totale mondiale est trois plus élevée que le PIB (précisément 322% en 2019 ; quelle sera-t-elle en 2020 ?).

     

    Du côté des pouvoirs publics, les choses sont claires : d’une façon ou d’une autre cette dette sera remboursée. On ne peut pas attendre autre chose des responsables politiques. Dire le contraire serait catastrophique : aucun investisseur n’accepterait de nous prêter de l’argent, ou bien il exigerait des taux d’intérêt exorbitants, alors qu’aujourd’hui ils sont quasi nuls. Car, depuis une loi de janvier 1973 et surtout depuis le traité de Maastricht de 1994, le Trésor public ne peut plus emprunter auprès de la Banque de France. Cela évite de faire fonctionner trop généreusement la « planche à billets » génératrice d’inflation. Mais cela fait surtout les « choux gras » des investisseurs privés qui prêtent à l’Etat et perçoivent pour cela des intérêts.

    Rembourser d’accord, mais quand et comment ?

    Evidemment il n’est pas question (officiellement du moins) d’augmenter les impôts, d’autant plus que, du fait de la contraction de l’économie, l’assiette des prélèvements s’est fortement rétrécie (par exemple, le PIB a diminué de 4,3% sur un an au troisième trimestre de 2020, dernier chiffre officiellement connu). Et, en tout cas, le montant de la dette représente plus de dix fois le montant de l’impôt sur le revenu. D’autant plus que tout porte à croire que cette dette va continuer à croître : après le gros « coup de pouce » donné financièrement à tous les secteurs de l’économie en 2020, il n’est pas pensable de ne pas continuer en 2021, 2022… tant que l’économie n’est pas revenue à son état « normal ».

    Alors ? Rembourser plus tard, c’est-à-dire faire payer nos enfants, nos petits-enfants ? Compter sur un hypothétique rebond de la croissance ? Lequel, quand, comment ? Et pourquoi consacrer ce surplus, s’il existe, à rembourser de vieilles créances plutôt que d’investir pour l’avenir, ne serait-ce que pour relever le défi climatique dont les besoins sont immenses ?

    A toutes ces questions, pas de réponse claire et précise : il est urgent d’attendre !

     

    Qui paie ses dettes s’enrichit-il ?

    Le fameux bon sens populaire est là encore pris en faute. Le cas d’Haïti est emblématique : pendant 150 ans ce malheureux pays, colonie jadis riche et profitable, a dû s’acquitter sans défaillance de la dette que lui avait imposée la France de Charles X pour prix de son indépendance. Aujourd’hui il est l’un des plus pauvres du monde (173e / 193 en termes de PIB/habitant, source FMI 2020).

    Car il y a dette et dette. Certaines seraient des dettes illégitimes (ou odieuses). C’est un concept assez récent, pas admis de tous (y compris des altermondialistes qui le considèrent curieusement comme « trop libéral »). Entrent dans cette catégorie les dettes contractées sous contrainte ou contre l’intérêt des populations locales (p. ex. dictatures militaires). Plusieurs institutions, de statut différent, s’efforcent tant bien que mal à porter remède à ces situations souvent dramatiques : le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes du Tiers-Monde (CADTM) ou le Club de Paris, un groupe d’une vingtaine de pays créanciers. De petites renégociations sont possibles

    Quant aux pays qui décident unilatéralement de s’affranchir de dettes qu’ils estiment insupportables, ils courent de grands risques. Ce fut le cas de la toute jeune Union soviétique qui, à sa naissance en 1917, répudia toutes les dettes souscrites sous le régime tsariste (les fameux emprunts russes), dettes qui avaient en grande partie financé la politique militaire expansionniste russe et les conséquences de la calamiteuse guerre russo-japonaise de 1904-1905. Il en est résulté une intervention plus ou moins active des puissances occidentales contre les « Rouges » au profit des « Blancs » (p. ex. occupation d’Odessa par les Français en 1918-19). Cela explique sans doute en partie la paranoïa du nouveau régime et sa dérive vers une sanglante dictature.

     

    Et où est la limite de l’odieux ? Dans les années 1970-80 les pays du tiers-monde ont vu leur dette exploser (dettes en dollars, taux d’intérêt s’envolant) les conduisant de fait à rembourser un montant plusieurs fois supérieur à celui de leur dette initiale. Pour tenir leurs engagements, ils ont dû passer sous les fourches caudines des « Programmes d’ajustement structurel » du FMI et de la Banque Mondiale, les obligeant à pratiquer des politiques d’austérité et à brader leurs ressources nationales. Certains ne s’en sont pas remis.

     

    Alors que faire ?

    Rembourser ? Ne pas rembourser ? Les points de vue divergent ainsi que les solutions. Pour certains, « orthodoxes », rien ne se perd, rien ne se crée : annuler une dette c’est seulement en faire porter le poids sur un autre ; c’est aussi un mauvais signal adressé aux prêteurs éventuels qui pourraient s’inquiéter. A quoi il est répondu qu’il n’y a aucun risque de ce côté aussi longtemps que la Banque Centrale Européenne (BCE) acceptera de racheter toutes les créances des banques et institutions prêtant aux Etats.

    Oui mais, objectera-t-on, pour racheter ces obligations émises par les Etats et détenues par les institutions financières, la BCE créera de la monnaie et s’il n’y a pas de limite à ces achats c’est la porte ouverte à l’inflation. Et puis où la BCE prendra-t-elle ces euros ? La première réponse est que jusqu’à présent il y a peu d’inflation, et même pas assez, puisqu’une des principales missions de cette institution est de maintenir ce taux à 2%. S’il en allait autrement, elle aurait la capacité de couper le robinet à crédits. Et puis la BCE est une institution à part : les euros qu’elle crée ne lui coûtent rien et elle ne les doit à personne : elle les crée par un seul jeu d’écriture dans son bilan.

    Ce qui est créé par un jeu d’écriture pourrait être effacé par un autre jeu d’écriture sans qu’il ne lui en porte préjudice. Ni à quiconque. D’où l’idée que beaucoup défendent : il faut effacer la dette. Evidemment pas les dettes détenues par les prêteurs du marché qui seraient spoliés, mais celles rachetées par la BCE.

    Totalement, partiellement ? Diverses modalités sont proposées. L’effacement de ces dettes permettrait d’en contracter de nouvelles qui, elles, permettraient d’investir massivement. D’autres méthodes peuvent être envisagées (la dette perpétuelle, le « roulement » de la dette par exemple).

    Le problème est que les « orthodoxes », même le gouverneur de notre BDF, demeurent ancrés, sans doute par posture, sur des concepts d’une méthode comptable que beaucoup considèrent à juste raison comme obsolète. Il est de fait que cette comptabilité « de grand-papa » a beaucoup de carences qui impactent lourdement la vie politique et économique actuelle (disparité de traitement du travail et du capital, non prise en compte de la valeur des biens communs, et.). Ce sont les comptables et non les politiques, les juristes ou les économistes, qui dirigent la planète ! Tout ceci devrait être réformé. Mais c’est un autre débat.

     

    Pour conclure il faudrait renvoyer à l’ouvrage magistral de David Graeber, tout récemment disparu (Dette : 5000 ans d’histoire, Les liens qui libèrent, 2013, 624 p.). Il y démonte toute la logique et l’illogique d’un système qui s’est construit au cours des siècles. Il souligne par exemple la sagesse des souverains babyloniens qui, confrontés aux troubles à l’ordre social engendrés par les écarts croissants entre créanciers et débiteurs, effaçaient régulièrement dans de grandes occasions les dettes publiques.

    Et, pour en finir et pour faire un lien avec un précédent billet, notons que « l’usine à gaz » (aux tuyaux percés) montée par les Pouvoirs publics pour compenser la perte de revenus de certains du fait du confinement aurait trouvé une solution simple si un revenu universel avait existé.

     

    1Pourtant le même Président déclarait en 2018 à de professionnels de santé se plaignant de leur manque de moyens : « Il n’y a pas d’argent magique ».
    2http://quentin-philo.eklablog.com/nos-enfants-vont-ils-rembourser-la-dette-a47606413

     

    « Une économie pour le nouveau siècle ?Pour la réouverture des lieux de culture »

  • Commentaires

    1
    Pierre M.
    Mardi 8 Décembre 2020 à 10:38

    Petit codicille à la note ci-dessus.

    Il y a aujourd’hui une raison importante qui fait que les responsables économiques et politiques européens – quoiqu’ils puissent penser – refusent d’entendre parler d’annulation de dettes dans le cadre de l’UE. Les quatre « pays frugaux » (ou radins), Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède, plus la Finlande, sont déjà réticents à accepter le Plan de relance européen de 750 milliards d’euros (dont 360 de prêts). Si on vient maintenant leur dire que les prêts ne seront pas remboursés c’est l’échec assuré.

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