• Faut-il craindre l'intelligence artificielle ? (Troisième billet)

    par Pierre Marsal

    21/03/2024

     

    Les événements vont vite. Depuis la rédaction du premier billet en décembre 2023, bien des choses se sont produites. En particulier la multiplication des programmes et logiciels dédiés à l’IA générative, leur emploi étendu à tous les secteurs de l’activité, encore qu’ils existassent déjà dans de nombreuses applications informatiques (correcteur d’orthographe, reconnaissance et commandes vocales), la propagation de leur emploi après du grand public (les applications pour ordinateur ou mobiles multifonctions se généralisent et se banalisent).

    C’est une révolution que certains comparent à l’invention de l’écriture. C’est-à-dire qu’elle serait susceptible de bouleverser le devenir de l’humanité. L’antique concept  de paradigme, rajeuni par le philosophe et historien des sciences Thomas Kuhn, et dont on abuse de nos jours, pourrait être légitimement repris pour décrire la situation. On est effectivement là en présence d’un modèle de pensée, d’interprétation et de création nouveau. Comme le fut le monde post-newtonien. De même que la mécanisation a en partie libéré l’être humain de travail physique, cette innovation peut l’aider, le libérer, voire se substituer à lui, dans son travail intellectuel et dans l’acte de création. On pourrait multiplier les exemples : créer des œuvres musicales à la manière de Mozart, des œuvres picturales qui portant l’empreinte de Léonard de Vinci. Il y a peu de limites !

     

    Comme toute innovation majeure elle porte en elle ses bénéfices et ses dangers. Sur ce dernier point il y a profusion de déclarations et d’écrits qui les pointent (désinformation, manipulation, discrimination, atteinte à la vie privée, à la propriété intellectuelle, aux droits d’auteur, à la confidentialité des données, creusement des inégalités, pertes d’emploi, cyber-sécurité, « hallucinations », etc.) et qui préconisent des garde-fous.  Tout le monde s’en préoccupe et, pour une fois, les autorités, nationales comme européennes, semblent ne pas avoir pris trop de retard sur l’événement.

    Plus précisément, les éducateurs, les philosophes, les éthiciens, les sociologues... s’interrogent : quel sera à l’avenir l’homo intelligentiae artificialis (pardon pour ce néologisme) ?

     

    Passons rapidement sur toutes les incidences que cela peut avoir sur l’économie. Sur le marché du travail (nouvelle avancés en matière d’automatisation, disparition et créations d’emploi, remise en cause des compétences), sur la productivité, sur la répartition des richesses, sur les inégalités... Plus importante peut-être pour le proche avenir, bien que peu souvent abordée, semble être son incidence sur le système économique.

     

    Fin 2022 lorsque fut lancé dans le public la première version de Chat-GPT, elle était accessible gratuitement à tous, comme l’est toujours Wikipédia. On l’utilise encore dans les mêmes conditions. D’autres comme Bard, devenu Gemini, fonctionnent selon les mêmes principes, celui des programmes open source librement utilisés et diffusés. Ils ont donc toutes les caractéristiques des biens communs, ce qui nous renvoie à notre séance du 26/01/2023 (N’y a-t-il d’autre choix qu’entre l’étatisme et le néolibéralisme ?)

    https://sites.google.com/site/enseignementphysiqueclassique/n-y-a-t-il-d-autre-choix-qu-entre-l-etatisme-et-le-neoliberalisme

    Aucune discrimination donc n’est faite entre les utilisateurs. Pourtant des nouvelles versions, plus sophistiquées et payantes sont mises progressivement sur le marché. Cela peut se comprendre eu égard au coût fantastique du développement de ces programmes. Par ailleurs de grandes entreprises, publiques comme privées, conçoivent des programmes d’IA spécifiques pour leurs besoins propres. De plus en plus la sélection se fait par l’argent : l’IA générative devient donc un bien privé avec toutes les caractéristiques que cela implique, notamment l’exclusivité. Les entreprises les mieux dotées en capitaux vont en tirer un avantage concurrentiel.

     

    Ainsi donc, comme le remarque le philosophe Pascal Chabot, l’IA ne fait que manipuler du langage (au sens large du terme), bien commun gratuit de l’humanité, mais aboutit à la marchandisation du langage. Jusqu’à présent « tout a été acheté sur cette planète, des animaux à l’eau, de la force de travail au temps ». Ne restait que le langage. Maintenant c’est fait. « Si les mots ne sont plus de provenance humaine, rien n’empêche de les monnayer ».

     

    C’est donc le triomphe de l’économie capitaliste qui, progressivement, privatise ce qui ne l’était pas encore. Ce que d’aucuns qualifient de capitalisme linguistique.

    On doit ce concept au linguiste et sociologue Robert Phillipson. Il expliquait ainsi l’utilisation du langage comme ressource économique et outil de pouvoir. Ce n’est pas nouveau : marques et slogans publicitaires protégés, traduction automatique payante. Il en va de même avec la maîtrise d’une langue dominante qui donne au locuteur un pouvoir de négociation supérieur (à noter que Marx déjà évoquait le pouvoir du langage de la classe dominante, comme outil pour asseoir sa domination).

    Ce marché linguistique n’est pas récent. Déjà Google avait fortune en mettant en place un système d’enchères payées en fonction du nombre de requêtes sur des mots clés renvoyant à des publicités d’entreprises.

     

    Le concept de capital linguistique n’est pas sans évoquer le capital culturel, lié à l’origine et au milieu social des individus qui pérennisait les inégalités. Les codes linguistiques en faisaient partie (Ce que parler veut dire, 1982).

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  • Commentaires

    1
    Laurent
    Dimanche 31 Mars à 11:11

    Faut-il craindre l'IA? La réponse est non. La raison en est simple : un bébé Terminator est déjà sur Mars. Comme chacun sait, le rover sur Mars sait s'autoréparer, il est autonome énergétiquement et il n'a pas besoin d'air, donc il vit dans l'infini. Dans l'infini, il n'entre pas dans la chaîne alimentaire, ni n'a besoin de consommer la Terre. Il n'y a pas de motif de guerre ou d'une guerre cannibale. Mais ce n'est pas intéressant comme histoire, car cela ne fait pas vendre des places au cinéma. On aime bien se faire peur parfois au cinéma.

    De plus, sur Terre, il n'y a souvent pas besoin d'IA très sophistiquée pour vendanger la terre. Mais en revanche, ces IA prennent le travail des vendangeurs, qui peuvent alors vouloir faire la guerre aux robots et appeler à la peur de l'IA, cet étranger qui prend leur travail. La guerre à l'IA est donc un sentiment de conserver la reconnaissance de son revenu et de soi-même.

    Donc résumons : le cinéma c'est bien pour donner la possibilité aux gens de s'identifier aux personnages pour vendre des places. Objectif atteint, le film Terminator est bon! Mais c'est un film.
     

      • Pierre M.
        Mercredi 3 Avril à 19:26

        Quand les robots vendangeurs deviendront viticulteurs. Quand ils boiront (sur le zinc) le vin qu'ils produiront le cycle sera bouclé.

      • Laurent
        Vendredi 5 Avril à 07:36

        Ce n'est pas la déduction logique de cette expérience authentique du Rover sur Mars en tout cas. 

        Ce Rover ne peut être qu'un très gentil "Terminator" sans autre raison de s'autoréparer comme expliqué, et celui de communiquer. Mais si on a envie d'être animiste comme l'est le film Terminator, on peut alors considérer qu'il s'agit d'éviter l'ennui esseulé dans l'infini spatial pour ce Rover. Pourquoi chercher à retomber dans du manichéisme systématiquement quand il n'y en a pas? Le préservatif a été inventé sur Terre, et depuis que l'école enseigne que les études démographiques c'est prévoir, la natalité devient heureusement plus responsable dans beaucoup de pays qui accèdent à l'enseignement.

        Bon à savoir : sur Terre, les robots sont déjà vendangeurs mais pour des vignes qui produisent du vin, ce qui fait baisser le prix des productions. C'est un accompagnement constaté qui est vrai dans tous les métiers. La question est donc double :

        1 - Ce revenu produit accompagne-t-il tout le monde?

        2 - Le revenu produit par les robots accompagne-t-il l'enseignement scolaire (démontrable scientifiquement)?

        Que faut-il remarquer ?

        On a juste oublié un peu vite en économie ancienne que le produit est pacifique, le produit fait la monnaie en économie, la monnaie redistribuable en économie moderne. Ce constat en économie moderne est l'une des raisons des prestations en nature ou des aides diverses favorables aux reprises d'études rémunérées en nature dans le monde... L'IA a cette capacité extraordinaire d'aider tout le monde sur la planète, mais encore faut-il appliquer la méthode scientifique et scolaire pour arriver à ce constat. Pas besoin de guerre en principe, à moins de s'adonner à l'ancienne économie manichéenne mais c'est un autre sujet. 

         

      • Laurent
        Vendredi 5 Avril à 08:22

        En fait ce sujet présente un biais dès le départ, assez facile à lever comme démontré, . Ce sujet incite au manichéisme, donc interdit de répondre à la question paisiblement, mais sait on pourquoi ? Alors que la réponse de l'IA devrait être très paisible en réalité, comme démontré.

        Tenez, voici des sujets intéressants qui sont :
        d'où vient l'économie manichéenne et quelles en sont les conséquences encore de nos jours?
        d'où vient la nouvelle économie basée sur l'IA ou l'économie du savoir?

        Actuellement, nous connaissons un mélange des deux, et cela fait désordre le manichéisme du savoir. C'est aux origines de pas mal de guerres en ce moment. Et c'est sans compter la plupart des actualités qui abordent hélas tous les sujets sous cette angle de l'hystérie économique manichéenne, mais jamais sous un angle scientifique posé.

        Le savoir scientifique, c'est être en paix, pas besoin de question manichéenne. On sait cela depuis l'envoi des sondes Voyager 1 et 2 qui donne le chemin de la Terre ;-)

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