• Pourquoi la confiance fait-elle défaut de nos jours ?

    par Pierre Marsal

    10 avril 2024

     

    - Le thème de la confiance est omniprésent dans la vie contemporaine.

    En politique : que de fois ces derniers temps, n’avons-nous pas eu les oreilles rebattues par l’évocation de la « question de confiance » au gouvernement et de son fameux article 49 : alinéas 1 ou 2 selon qu’elle était posée par le gouvernement, engageant sa responsabilité (alinéa premier) ou à l’initiative des députés (alinéa 2). En sciences : en 2019, l’Académie des sciences française a été l’hôte de la réunion Sciences 7 avec ses homologues des pays membres du G7, lors de leur 45e sommet, pour évoquer notamment le thème « dialogue et confiance ».

    Etymologiquement ce mot confiance a la même origine que foi, confidence, croyance ou crédit. Avoir confiance en quelqu’un s’est se fier à lui. Le dictionnaire de l’Académie française, dans sa dernière édition, détaille les différentes acceptions de ce terme, commençant ainsi : « Espérance ferme que l’on place en quelqu’un, en quelque chose, certitude de la loyauté d’autrui ». Il poursuit en précisant que c’est aussi un sentiment de sécurité et d’assurance.

    La confiance est indispensable dans les relations interpersonnelles, mais elle peut être dangereuse car elle nous met à la merci de la personne en qui on accorde cette confiance.

     

    - Quelques considérations théoriques

    La confiance étant une disposition d’esprit qui semble tellement aller de soi qu’elle a très longtemps négligée par les sociologues, psychologues ou philosophes. On la confondait par exemple avec la familiarité : on a évidemment confiance en un objet, en un acte familier. Tout comme on faisait peu de distinction entre confiance assurée et confiance décidée. Ce n’était là qu’une nuance due à notre plus ou moins grande capacité à distinguer un risque.

     

    Plus précisément, ce sont deux sociologues et philosophes allemands Georg Simmel et Niklas Luhmann qui ont apporté des précisions sur cette notion. Le premier remarquait que la confiance est attribuée dans des situations intermédiaires entre plein savoir et totale ignorance, de façon variable selon les circonstances, les individus et les époques. Un cas très typique est la confiance en la monnaie, indispensable pour le bon fonctionnement de l’économie.

    Plus récemment, Luhmann, auteur d’un livre éponyme sur ce sujet, a développé une thèse démontrant la complexité croissante de nos sociétés contemporaines. Pour lui la confiance constitue un mécanisme de réduction de cette complexité. Pour ce faire on tire parti de l’information acquise dans le passé pour la projeter dans l’avenir. Comme le fait remarquer Claude Debru, ce processus fait penser à la simplexité chère à Alain Berthoz (2009).

    Un des exemples donné par Luhmann est celui de la mère de famille qui confie son enfant à garder. Elle espère qu’il sera bien traité comme elle le demande. Mais elle ne peut pas tout prévoir. « Sa confiance ne s’étend qu’aux événements dont l’occurrence lui ferait regretter d’être sortie et d’avoir confié son enfant à quelqu’un... La confiance se rapporte donc toujours à une alternative cruciale dans laquelle le dommage lié au bris de la confiance serait plus grand que l’avantage à tirer du respect de la confiance. ». Encore, selon sa formulation, celui qui s’engage dans la confiance assure son futur présent sur un présent à venir.

     

    Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce vaste sujet. Ne serait-ce que pour expliciter ses antonymes, méfiance et défiance (ce dernier est plus large que le premier). Mais tel n’est pas l’objet de cette courte note.

     

    - La confiance aujourd’hui

    La société contemporaine s’étant complexifiée, il était donc assez naturel que la question de la confiance prenne une importance croissante. Est particulièrement concernée la confiance dans les « élites », économiques, politiques, journalistiques ou scientifiques.

    A vrai dire toutes les sociétés ne sont pas également touchées par cette crise de confiance. La France, pays de « Gaulois réfractaires », l’est plus que bien d’autres. Le niveau de confiance y est particulièrement faible : en février 2021, selon une enquête CEVIPOF, 16% seulement des Français feraient confiance aux partis politiques et guère plus aux autres institutions, médias (28 %) et syndicats (32 %). Alors que dans les pays nordiques, Norvège, Finlande, les taux moyens dépassent 60 %. A noter qu’en 2021, 91 % des Chinois déclaraient faire confiance dans leur gouvernement (mais cette enquête de la société Edelman est basée sur une autre méthodologie qui monte un peu la note de la France).

    Chez nous les crises successives des gilets jaunes et de la COVID ont accéléré une tendance déjà notable. Ainsi que la prise de conscience de l’écart qui se creusait entre « premiers de cordée » et « premiers de corvée ». C’est d’autant plus grave qu’elles mettent en cause la compétence et la légitimité des élites de la démocratie représentative. L’enquête de 2024 confirme la défiance politique : 38 % des personnes interrogées font preuve de méfiance politique, indice le plus haut depuis 2009.

    Il ne faudrait pas négliger l’incidence des réseaux sociaux dans cette détérioration de la confiance. L’action des influenceurs, le système d’indexation qui met en avant les informations sensationnelles, simples, voire simplistes, la multiplication des arnaques, le court-termisme avec oubli du passé, biaisent la réalité. Par manque de culture économique et scientifique beaucoup de nos concitoyens n’ont pas l’esprit critique suffisamment développé pour échapper à ces pièges. Ils ont souvent tendance à tirer des généralités à partir de faits isolés. C’est particulièrement frappant en matière de santé, où l’on ignore l’idiosyncrasie humaine c’est-à-dire le caractère très individuel de la réponse d’un organisme vivant à un apport ou à une agression. En effet l’espèce humaine n’est pas « améliorée » par la sélection comme c’est le cas des animaux de rente. Et c’est heureux ! Pour un poulet par exemple on sait à quelques décimales près quelle quantité de nourriture donnera telle augmentation de poids : c’est l’indice de consommation (entre 3,24 pour le poulet en liberté et 1,35 pour le poulet en élevage intensif). Pour un être humain une même quantité et qualité de nourriture peut rendre obèse certains et en amaigrir d’autres.

    C’est ce phénomène qui a pu déclencher l’hystérie anti-vaccinale : ont été montés en épingle de douloureux mais heureusement rarissimes accidents. En occultant le fait que l’immense majorité a pu en bénéficier grandement.

    Claude Debru, déjà cité, a fait un point précis sur la question de la confiance en sciences.

     

     

    Niklas Luhmann, La confiance (un mécanisme de réduction de la complexité sociale), Economica, 2006.

    Claude Debru, Confiance, innovation, progrès, Notes académiques de l’AAF, avril 2021

    « Se cultiver au café débat, quelles relations, quels intérêts, peut-on en tirer des enseignements ?

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