• Progrès, progressisme, même combat?

    par Pierre MARSAL

    14 mars 2024

     

    Sans le texte de présentation et sans le compte-rendu, il est dommage que les discussions du Café-Débat de Saint Quentin en Yvelines du 2 mars dernier n’aient pu bénéficier qu’à quelques heureux participants.  Sujet intéressant encore que le titre proposé ne soit pas très explicite. Il mérite de longs débats, voire même des controverses.

    Voici donc une petite contribution personnelle. Dans un premier temps (§ 1) est repris un court extrait d’un compte-rendu personnel d’échanges en février 2012 avec Heinz Wismann, philologue et philosophe, sur les liens entre progrès et innovation. Dans un second temps (§ 2) on revient sur le sujet plus précis qui nous a été proposé.

     

    § 1 - Les sociétés primitives considèrent souvent l'innovation comme une menace potentielle : elles jugent l'avenir par référence au passé. L'innovation est bonne si elle tend à redécouvrir l'Âge d'Or perdu. Même les plus « progressistes » des anciens Grecs analysaient le progrès par rapport à l'état parfait connu dans le passé. Les sages, les scribes,… analysaient donc les situations en fonction de ce qu'ils connaissaient et ce qu'ils connaissaient n'était pas susceptible d'évoluer (nihil novi sub sole). Si tout progrès est une innovation, toute innovation n'est pas un progrès.

    Une rupture décisive s'est opérée au XVe siècle. Trois événements vont changer la vision du monde. 1) Copernic déloge la Terre du centre de l'univers ; 2) on découvre de nouveaux continents ; 3) l'imprimerie est inventée. L'évidence du Retour est évacuée, la centralité et l'immuabilité sont contestés, les traditions sont confrontées. L'humanisme émerge alors dans la transition de la divinitas à l'humanitas.

    Face à ces secousses, pour conjurer les angoisses, on recherche un nouveau mode de stabilisation, non plus en se référant à un stade initial, mais en se projetant vers un état final. C'est le début des utopies (Thomas More, 1516). L'idée que les avancées ne peuvent se concevoir que par rapport à un futur plus ou moins proche n'existait pas dans les anciennes cultures. La dernière des utopies fut le marxisme et l'idéal des « lendemains qui chantent ». En termes de progrès des sciences et des techniques, une innovation n'est acceptable que si elle procure une avancée vers cet horizon futur.

     

     § 2 - Il faut se méfier des faux-amis : progrès et progressisme n’ont pas les mêmes origines ni même les mêmes implications. Le premier, progrès, vient de loin.

    En France, après Turgot qui évoquait les « progrès de l’esprit humain », une des plus remarquables réflexions qui ait été faite est contenue dans l’œuvre posthume de Condorcet.  « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain », colossal ouvrage dans lequel l’auteur décrit l’évolution des connaissances humaines pour exprimer sa certitude de la perfectibilité de l’humanité grâce au progrès des connaissances et de leur diffusion. Elles devaient notamment réduire les inégalités entre Nations, entre individus et perfectionner l’être humain.

    Cet acte de foi perdure jusqu’à nos jours et fut particulièrement magnifié chez les saint-simoniens par exemple. Aujourd’hui c’est encore la pensée dominante malgré quelques nuances et objections.

    En effet le progrès, le plus souvent perçu comme progrès technique, c’est-à-dire comme innovation, est ambivalent. Toute avancée positive a une contrepartie qui l’est moins : les progrès mécaniques engendrent des engins de mort, internet développe infox et booste le complotisme. Il n’est guère que les progrès sanitaires, médicaux, vaccinaux qui soient majoritairement perçus positivement. Et encore contrarient-ils quelques grincheux qui regrettent que la sélection naturelle ne puisse pas faire son office ou que la surpopulation les menace.

    Plus fondamentalement des penseurs mettent en cause les progrès des techniques, de grands personnages aussi idéologiquement différents que Heidegger ou Jacques Ellul. Quand ce ne sont pas des activistes dangereux comme le mathématicien anarchiste américain surnommé Unabomber qui voulait s’y opposer par la violence. La foi dans le progrès peut donc aussi bien être de droite comme de gauche.

     

    D’autre nature est le progressisme. C’est une philosophie politique plus récemment apparue. C’est un néologisme créé dans les années 1930, même si l’idée était déjà en germe depuis plus longtemps par exemple chez John Stuart Mill. C’est une idéologie qui suggère que le progrès va dans le sens de l’histoire. Elle a donc des points de convergence avec le marxisme. Elle s’oppose au conservatisme, à la réaction, au déclinisme, à la collapsologie... Elle conteste les normes et les pouvoirs établis, comme l’académisme dans l’art : les grands mouvements artistiques du début du siècle précédent (surréalisme, lettrisme, dadaïsme, musique concrète, etc.) ou intellectuels (situationnisme) en furent des manifestations.

    En fait ceux qu’on peut qualifier, à tort ou à raison, de progressistes, n’ont pas toujours la même foi quant au déterminisme linéaire du progrès. Ainsi Gramsci remit-il en cause l’histoire comme progrès après l’arrivée au pouvoir des fascistes en Italie. A contrario certains considèrent que le progressisme cache une volonté d’instituer le progrès par la violence. Violence politique ou militaire dans les dictatures, violence économique plus feutrée comme c’est le cas dans notre société. Il peut donc y avoir confusion de sens (comme c’est le cas à propos du libéralisme). Mais globalement c’est plutôt une valeur de gauche.

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 15 Mars à 10:03

    Un texte dont le titre incite à réfléchir sur les notions de progrès et de progressisme doit avant tout essayer de donner des définitions précises de ces termes, sinon on va tout droit vers un dialogue de sourds.

    Le progressisme n'est pas un mot à la mode pour parler de progrès. Ces mots ne veulent pas dire la même chose. Pour faire simple, le progrès est pour moi d'abord une augmentation des connaissances sur l'univers qui nous entoure et sur nous-mêmes. Le progressisme est une manière de changer les choses, en quelque sorte une méthode d'action : est progressiste celui qui pense qu'il faut avancer par petits pas pour améliorer une situation, et s'oppose à celui qui pense que les changements ne peuvent s'opérer que de manière radicale. Par exemple, est progressiste celui qui veut faire avancer l'Europe par petites améliorations successives sur un temps long, et s'oppose à celui qui veut qu'on arrête tout et qu'on recommence au travers d'une véritable révolution.

    Concernant ton §1, j'ai un peu de mal à comprendre ce que dit Wismann sur le progrès et l'innovation. On peut progresser sans innover, me semble t-il, du moins dans les domaines non techniques, mais on peut aussi innover sans progresser. Souviens-toi des dissertations scolaires sur les différences entre progrès technique et progrès moral : vouloir améliorer le sort des pauvres et des handicapés ne nécessite pas d'innovation, qu'y a t-il d'innovant dans le fait de fournir un abri à un SDF au lieu de le laisser croupir sur une bouche de métro ? On peut réduire la pauvreté de manière progressive, comme on essaie de le faire en mettant en place des lieux d'hébergement, des aides aux plus démunis, etc. Mais en poussant le bouchon assez loin, il y a aussi des méthodes révolutionnaires pour juguler la pauvreté : la première, c'est de flinguer tous les pauvres, la seconde c'est par exemple de donner à tous un revenu de base. Les deux sont innovantes, mais n'ont pas le même degré de moralité, la même valeur morale.

    Je ne parlerai pas du progrès technique, on en a déjà parlé au Café-Débat de multiples fois, on trouvera sans peine différentes approches à l'aide du moteur de recherche du blog.

    2
    Pierre M.
    Lundi 18 Mars à 16:38

     A propos du § 1, tu as raison : les propos de Heinz portaient plutôt sur l’innovation, donc pas très adaptés à notre sujet. J’ai malgré tout extrait une partie du CR car il expliquait la rupture qui s’est produite à partir du moment où les Européens ont cessé de se référer à l’idéal de l’Age d’Or  passé pour se projeter dans le futur. Cela explique l’idéal de progrès. Toutes les sociétés humaines n’ont pas partagé  cette conviction. En particulier les Chinois avec leur conception cyclique du fonctionnement de l’univers. Il a fallu les chocs des guerres de l’opium puis de l’agression japonaise, pour convertir, au prix du sang, les dirigeants chinois à changer complètement de cap. Aujourd’hui la Chine est devenue le leader du mode de production capitaliste, concrétisation de l’idéologie du progrès.

     

    Quant au débat qui nous occupe, il pourrait faire l’objet de longues discussions. Et bien des choses ont été dites ou écrites.

    Pour schématiser à l’extrême on pourrait avancer que le progrès est un processus objectif, mesurable. Alors que le progressisme est une valeur, un idéal, un courant de pensée, une conviction. Conviction qu’il faut transformer les structures économiques, sociales et politiques pour le plus grand bien de l’humanité. Bien sûr le progrès scientifique et technique y contribue.

    Mais quel progrès ? Le progrès de la mécanisation qui a chassé de leurs terres les petits paysans, devenus prolétaires exploités ? La suppression de l’esclavage qui fut le principal enjeu de la guerre de Sécession : le Sud agricole qui exploitait une main d’œuvre servile, mais qu’il fallait bien nourrir et loger, contre le Nord industrialisé grâce à des machines qu’il n’était pas nécessaire d’alimenter en dehors des moments où il en était fait usage. Les travailleurs sans emploi n’avaient aucune ressource.

    Le progressisme dans cette affaire passait évidemment par l’abolition de l’esclavage mais aussi par des lois sociales protégeant les plus démunis. Par l’action de l’Etat-Providence que certains ont la velléité de contester aujourd’hui.

    On le constate, les choses ne sont pas simples.

    3
    Laurent
    Mercredi 27 Mars à 18:39

    Une définition claire est le progrès selon George Bernard Shaw.

    "Si tu as une pomme, que j'ai une pomme et que l'on échange nos pommes, nous aurons chacun une pomme. Mais si tu as une idée, que j'ai une idée, et que l'on échange nos idées, nous aurons chacun deux idées."

    LE PROGRÈS?

    L'enrichissement mutuel ou l'activité de prototypage si l'on transpose à l'aspect matériel et comptable. On est à l'opposé de manger vous les uns les autres au sein de la chaîne alimentaire, le principe des gagnants font les perdants. Le progrès ce n'est donc pas naturel.

    La vision du progrès selon George Bernard Shaw n'est pas nécessairement "naturelle" au sens où elle ne découle pas directement des instincts ou des comportements prévalents dans la nature. Dans la nature, les organismes vivants sont souvent en concurrence les uns avec les autres pour les ressources, et la survie du plus apte est un principe fondamental de l'évolution.

    Le tout premier progrès serait donc ce constat de Rousseau qui remis au goût du jour donne : tout bébé naît bon car aucun n'est cannibale, mais les Old Christians sont contraints de devenir cannibales en 1972.

    LA MISE EN PRATIQUE DE L'ENRICHISSEMENT

    La machine de Gutenberg est une invention majeure qui a révolutionné la diffusion de l'information à travers l'imprimerie mécanique. Elle a été inventée par Johannes Gutenberg vers 1440-1455 en Allemagne. Cette machine permettait de reproduire rapidement et à moindre coût des textes en utilisant des caractères mobiles en métal. Avant l'invention de la presse de Gutenberg, les livres et les documents étaient produits à la main, ce qui les rendait coûteux et limités en quantité. Grâce à cette innovation, la production de livres et d'autres supports écrits est devenue beaucoup plus efficace, ce qui a considérablement contribué à la diffusion des connaissances et au développement de la culture à travers l'Europe et au-delà. La presse de Gutenberg est souvent considérée comme l'un des catalyseurs de la Renaissance et comme l'un des éléments fondamentaux de la révolution de l'imprimerie.

    Le manuscrit peut être considéré comme un prototype. Un écrivain peut être considéré comme un créateur de prototypes. L'invention de la presse de Gutenberg a révolutionné ce processus en permettant la reproduction rapide et efficace du contenu écrit. Ainsi, le manuscrit a fonctionné comme un prototype dans le processus de création de livres, avant que l'imprimerie mécanique ne prenne le relais pour la production en masse.

    Par ordre de grandeur viennent
    la mécanique,
    l'électronique,
    l'informatique,
    la photonique (pas de masse).

    L'utilisation de la photonique pour le traitement et la transmission des données offre certains avantages, tels que la vitesse de traitement élevée et la faible consommation d'énergie, c'est-à-dire : une meilleure qualité de signal sur une plus grande distance parcourue en abaissant la puissance énergétique. Moins d'énergie donne un bien meilleur signal sur une plus grande distance parcourue.

    QUELQUES APPLICATIONS PRATIQUES 

    La photonique, pas de masse, dans un monde réel donne par exemple :
    Télécommunications par fibre optique
    Lasers médicaux
    Capteurs optiques
    Imagerie médicale
    Écrans et dispositifs d'affichage
    Capteurs de vision et systèmes d'imagerie industrielle
    Énergie solaire photovoltaïque <---
    ITER (franchissement de seuil d'ignition) <---
    Une machine de Rube Goldberg lumineuse!

    La photonique (pas de masse) sous forme d'énergie c'est aussi le recyclage à l'infini du verre, l'aluminium, le papier et le carton, certains plastiques...

    Une machine de Rube Goldberg lumineuse...

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