• Se cultiver au café débat, quelles relations, quels intérêts, peut-on en tirer des enseignements ?

    par Daniel Soulat

    4 avril 2024

     

    I/ introduction : la volonté est le levier des opérations intellectuelles, quelles qu’elles soient, mais grâce à l’entraînement,  la sensation d’effort diminue et devient plaisir, plaisir de la recherche, plaisir de la réflexion, plaisir de la découverte, plaisir de l’échange et de l’enrichissement mutuel. Ainsi naît le plaisir de se cultiver, et ce plaisir-là est inépuisable.

    Nous allons tenter d’en montrer l’importance, car se cultiver aujourd’hui est à la fois une nécessité, un choix et un but, et d’en tirer des enseignements..

    II/ La nécessité de se cultiver : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » demandait Louis Aragon avec une feinte inquiétude. Peut-être entendait-il par là que les hommes sont les sujets d’une forte pression collective et, au lieu de donner libre cours à leurs dons naturels, ils sont façonnés par la société, un peu comme ces galets roulés et polis sans cesse par le courant de la rivière. Il nous faut réagir, mais comment ? Si nous voulons éviter la mainmise des forces sociales, politiques et économiques sur nos cœurs et nos esprits.

    D’abord la culture pour quoi faire ? C’est ce genre de question qu’on entend très souvent, dans un monde désemparé et désenchanté, qui a perdu le goût de la recherche désintéressée, du savoir gratuit, de l’intérêt sans résultat immédiat. Et pourtant, que peut comprendre l’homme aujourd’hui des mécanismes de l’économie, des problèmes de la civilisation industrielle, du fonctionnement si complexe de la « société de consommation, de la révolution numérique », du mouvement des arts et des sciences, sans un minimum de culture ? Que peut-il saisir des enjeux, si complexes et si lourds, d’un temps si fertile en bouleversements, en nouveautés, en dramatiques évènements, nationaux et internationaux, sans cet esprit d’éveil et de curiosité que favorise une certaine culture ?

    La nécessité est venue, si l’on veut conduire sa vie et gérer son capital intellectuel, de comprendre son temps, de mieux penser pour mieux agir, de mieux agir pour rendre de plus grands services aux autres. Se cultiver, enrichir son esprit, maîtriser le langage, gouverner ses pensées, utiliser ses capacités de réflexion, discipliner son jugement, assouplir ses conceptions, tout cela ne se fait jamais pour soi seul, mais avec le souci d’en faire profiter au moins quelqu’un, sa famille, son entourage ou un groupe de travail.

    Que signifie donc le mot « Culture » ?  Lecture et intelligence ont même racine (legere en latin = cueillir, choisir, lire). Le mot intelligence vient du grec, assembler des lettres, des mots, cueillir (des idées en soi), de comprendre (prendre en soi). On voit le rapport entre culture et intelligence. Le mot culture a plusieurs sens qu’il convient de distinguer, sous peine de confusion ou de vague interprétation :

    • Somme des connaissances acquises par l’étude ou l’expérience, instruction, savoir ;
    • Etat d’un esprit entraîné à la réflexion spontanée ;
    • Attitude d’esprit qui consiste à soumettre toute nouvelle connaissance à la critique ;
    • Capacité de penser par soi-même et d’exprimer une libre opinion sur ses actions et sur celles d’autrui ;
    • Ensemble défini par la langue, la religion, les coutumes, l’avancement des sciences et des arts pour un peuple à une époque donnée (état de civilisation).

    Un jour où l’on demandait à André Malraux, ministre fondateur des Maisons de la Culture, ce qu’il en pensait, il répondit sur un ton désabusé : « La culture ? Elle n’est jamais pour chacun que la volonté de se cultiver. »

    Derrière le mot culture, il y a un idéal, de rapprochement entre tous les hommes de la terre.

    Singulier phénomène : La compréhension du réel décroit à mesure que se développent les connaissances. Nos sens, notre esprit sont sollicités de toutes parts et en permanence, en sorte que, disposant de moyens toujours plus faciles, nous cédons par paresse et par habitude, dans les domaines les plus divers, à ces illusions de connaissances et supportons de moins en moins de n’avoir pas d’opinion sur toutes choses.

    Il n’est plus supportable aujourd’hui d’ignorer quoi que ce soit. Nous devons sur toutes choses avoir des idées faites : le prêt à porter de la culture, malheureusement elles deviennent bientôt des idées arrêtées, une sorte de culture standard, qui gagne peu à peu toutes les couches de la société.

    III/ L’important c’est le choix : Tout choix est un renoncement. Entre tous les livres qu’on souhaiterait avoir lus, toutes les richesses de l’art ou de la nature qu’on aimerait connaître, toutes villes qu’on voudrait visiter, il faut savoir choisir. La lecture est à la portée de tous, comme les conférences. On a les choix suivant ses préférences, entre l’art, l’histoire, la littérature, la science, la philosophie ; l’essentiel est de délimiter le champ de ses recherches, afin d’éviter une dispersion stérile et une connaissance illusoire. C’est la profondeur qui compte, non l’étalement superficiel. Savoir borner ses ambitions est preuve de sagesse et promesse de satisfaction.

    III/ Se cultiver c’est avoir un but : La culture peut être un but pour une société, comme pour l’individu, si elle a pour fin de rapprocher les hommes : ceux qui aiment les mêmes valeurs de l’esprit, qui respectent la même grandeur dans le passé, qui partagent la même foi en l’avenir, se sentent frères en droit et en fait (mêmes propos de André Comte-Sponville dans son livre que le meilleur gagne). A coté ou au dessus d’une Europe qui se cherche, il y a place pour une Europe de l’esprit ; c’est à l’édification de celle-ci que contribue tout esprit cultivé, dans un idéal de solidarité humaine.

    Notre civilisation, qui ouvre de si vastes horizons sur le riche univers des images, des formes et des sons, ne peut se passer du livre, car le livre est la clef de toute culture. « Le mot lecture veut dire choix. Lire, c’est élire, c'est-à-dire choisir. Quand nous lisons un livre, une revue, un journal, la lecture nous oblige à réfléchir, à revenir en arrière pour mieux comprendre, à nous arrêter pour discerner les causes d’un évènement, les données d’un problème, les conséquences d’une situation.

    Savoir réfléchir, c’est toute la culture. « Qu’est-ce que la culture, sinon une perpétuelle remise en question de la condition humaine et des valeurs qui lui donnent un sens ? Un être cultivé n’est pas seulement riches de connaissances, il est ouvert à la compréhension d’autrui et ne désire rien de plus pour lui-même qu’il ne désire pour les autres.

    IV/ Conclusion : Jacques Claret,  l’auteur du livre « Organiser la pensée », sur lequel je me suis inspiré, souligne : " Les éléments indispensables d’un raisonnement, font appel à la logique et à l’intuition et jouent à parts égales. Par ailleurs il évoque qu’avec un peu d’ordre et de logique et une pincée de bon sens, il n’est jamais impossible de désencombrer les magasins de l’intelligence la plus obscure ou d’éclaircir les problèmes les plus ardus. Patience et méthode font plus que révolte ni que rage ", on peut observer la similitude avec " Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage." ; Auteur, Jean de La Fontaine. Source, Le Lion et le Rat.  Maud Ankaoua, dans son livre « Kilomètre zéro », stipule à la fin  "N’essayez pas de convaincre les autres, montrez leur l’exemple, inspirez-les, éclairez-les, c’est en rayonnant que votre lumière guidera leurs pas ".

    V/ Question: Au travers de ce texte, percevez-vous que le café débat s’inscrit dans le domaine de la culture, peut-on  tirer des enseignements qui pourraient nous éclairer ?

     

    Pour mémoire il y a eu un café débat le 9 mars 2015

    Est-ce un devoir pour l’Homme d’être cultivé ?

    « Le bien moral peut-il être universalisable, pour mieux vivre ensemble ?Pourquoi la confiance fait-elle défaut de nos jours ? »

  • Commentaires

    1
    Daniel
    Vendredi 5 Avril à 08:47

    un complément au texte ci dessus à la fin après questions:

    V/ Questions: Au travers de ce texte, percevez-vous que le café débat s’inscrit dans le domaine de la culture, peut-on  tirer des enseignements qui pourraient nous éclairer ?

    Issu du discours du Président Valérie Giscard pour l’ouverture de la conférence générale de l’UNESCO le 27/10/1978 : « Soumises à un double processus d’accumulation et de discontinuité d’informations, nos sociétés devenues sans mémoire, perdront peu à peu leur cohérence et leur identité. Saturés de messages, mais pauvres en communication, elles verront s’effacer ces traits singuliers qui faisaient leur saveur, cette identité pluraliste qui, si elle nous à quelquefois déchirés, n’a jamais cessé de nous enrichir. Cette cohérence, cette identité pluraliste, il est temps de les préserver, et presque déjà de les restaurer ».           

    Ne serait-ce pas là une morale que l’on pourrait déduire de l’histoire de notre café débat ?

     

    2
    Pierre M.
    Vendredi 5 Avril à 15:38

    Effectivement le mot culture est polysémique. Il a des significations différentes selon le contexte. Selon par exemple qu’il concerne un individu, un groupe d’individus, une nation, un groupe ethnique. Pour un même individu il peut aussi concerner différentes zones de savoirs ou de compétences (scientifique, technologique, historique, artistique, etc..). Ce dont il s’agit plutôt me semble-t-il dans ton exposé, c’est le supplément de connaissances que chacun peut acquérir au sein d’un collectif comme le fut ou le sera peut-être encore le Café-Débat de SQY.

     

    De ce point de vue, pour être bref, je me permets d’insister sur deux points.

    1. Un Café Débat ou un Café Philo n’est pas un « Café du Commerce ». Il doit manifester des ambitions pour apporter une valeur ajoutée culturelle collective à tous les participants. C’est l’idéal de la « culture élitaire pour tous », ce magnifique oxymore défendu par Antoine Vitez (certains l’attribuent à Jean Vilar). C’est la volonté de rendre l’art, la science et la culture de haute qualité accessible au plus grand nombre sans distinction de classe sociale ou d’éducation. Ce n’est pas l’affichage ou la promotion d’opinions personnelles plus ou moins validées.

     

    2. Les échanges interpersonnels doivent obéir à l’éthique de la discussion telle qu’elle a été définie par Jürgen Habermas et Karl-Otto Appel. C’est-à-dire des échanges ouverts, inclusifs et respectueux, au cours desquels chaque opinion peut s’exprimer, de façon égale. Quelles que soient les compétences des intervenants, il ne faut pas abuser de l’argument d’autorité, contrainte qui empêche de véritables échanges. Habermas donne des règles qui permettent de réaliser un consensus accepté et non autoritaire (trop long à détailler ici).

     

    Ce qui parasite les débats c’est le fait que certains intervenants ont parfois une conception incompatible avec cette éthique, en voulant faire adopter leur point de vue, fondé ou infondé. C’est de même nature que le discours de propagande politique. Avec le développement des réseaux sociaux ce type de discours fait florès. En effet les procédures d’indexation sur ces réseaux tendent à privilégier toutes les opinions les plus atypiques, les plus sensationnalistes, les moins fondées. Toutes les prises de position « anti » (antisystème, anti-vaccins...), les plus abracadabrantesques (médecines parallèles, ufologie..), les plus suspicieuses. Tout le monde devrait savoir qu’aucun homme n’a mis le pied sur la Lune, que la Terre est plate, que Kennedy a été assassiné par les Illuminati, que Bill Gates veut devenir le maître du monde, que le monde a été créé il y a 5000 ans, etc.

    Le grand risque des échanges qui se veulent culturels dérivent vers ce genre de délires ou d’hallucinations.

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