• La Nature existe-telle ?

    par Pierre Marsal

    3 mai 2022

     

    Lors de la séance du 9 avril 2022 (« Peut-on s’inspirer de la sagesse des plantes ? ») le mot « Nature » a été prononcé par plusieurs intervenants. Sans qu’il soit précisé ce qui était entendu derrière ce terme. Aussi est-il utile de tenter de l’expliciter. L’expliciter d’une façon très succincte, car c’est là un très vaste sujet qui pourrait nous entraîner loin.

     

    Nature objet ou Nature sujet ?

    Chez les anciens Grecs, qui pourtant divinisaient toutes les forces de l’univers, la nature n’était pas personnifiée. Sous le terme de phúsis elle constituait un cadre général dans lequel tout pouvait advenir. Jamais nommée chez Homère, elle était un décor bien défini, un instrument des Dieux, souvent dangereux et sur lequel les humains n’avaient pas de prise. Toujours présente implicitement chez Hésiode, elle n’était qu’un faire-valoir pour les Dieux et les hommes.

    En Chine, elle est zìrán, ce qui advient par soi-même : ni créée ni incréée, elle échappe à la volonté des humains et des dieux (exemple du cycle des saisons).

    Alors comment se fait-il qu’aujourd’hui, au contraire, dans un Occident de plus en plus matérialiste, la nature (écrivons plutôt la Nature) soit pareillement mythifiée ?

    Est-ce dû à la tentation fréquente d’attribuer une personnalité, une individualité, à des substantifs possédant une forte valeur symbolique (la Liberté, la Patrie, le Peuple, le Patronat…) en leur conférant ainsi des attributs, voire des finalités ?

     

    A partir de là de nombreux auteurs, et non des moindres, en tirent des conséquences pratiques, philosophiques, juridiques ou politiques. Ainsi en 1972 le professeur de droit américain, Christopher Stone, écrivit un article célèbre « Should trees have standing ? » (on était alors en pleine guerre du Vietnam, alors que les Américains détruisaient des forêts au napalm et avec « l’agent orange »). Il en tire la conclusion que l’environnement naturel doit devenir un sujet de droit et non plus un objet à préserver. Les dommages subis par un arbre peuvent-ils faire l’objet d’une plainte en justice ? La même année, au Sommet de la Terre à Stockholm, le Premier Ministre Olaf Palme remet à l’ordre du jour le concept d’écocide.

     

    Plus près de nous en France c’est Michel Serres qui, par son Contrat naturel (1990), demande l’extension de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Dans cette logique, la juriste Marie-Angèle Hermitte propose la personnification procédurale de la Nature et de ses éléments (1990). La Convention Citoyenne pour le Climat propose de légiférer sur le « crime d’écocide » (juin 2020).

    Le juriste François Ost est plus mesuré (La Nature hors la loi, 2003) :

    « Notre problème fondamental consiste donc à mettre au point des solutions juridiques (et un cadre de pensée pour les justifier) réellement écologiques sans pour autant emprunter la voie, illusoire et anthropomorphique, de la personnification».

    Ce ne sont là que quelques jalons pour caractériser la situation de la Nature dans la doxa contemporaine.

     

    Mais finalement c’est quoi la Nature ?

    Simple décor ou entité réelle ? Depuis que les êtres humains se sont posé la question, les réponses sont multiples. Il est évident qu’en deux pages on ne peut pas épuiser le sujet. Au départ la Nature, la phúsis, est une puissance en devenir qui « aime à se cacher » selon Héraclite. Sous cet aspect c’est assez proche du Tao (Dàodéjīng), contemporain de cet ancien Grec.

    Comment débusquer ce qui est caché ?

    La première idée que l’on a lorsqu’on tente d’analyser un concept, c’est de voir à quoi il s’oppose. Voici donc quelques oppositions.

    - Naturel / accidentel ou artificiel. Il y a des morts naturelles et des morts accidentelles, encore qu’aujourd’hui, avec les progrès de la médecine, la distinction devient difficile à faire et on a de plus en plus tendance à « mourir de sa belle mort ». L’intelligence artificielle n’a évidemment rien de naturel.

    - Nature / loi (naturel / conventionnel) : on peut être parents selon la nature ou parents selon la loi en cas d’adoption. « Nature et loi le plus souvent se contredisent » écrivait Platon (in. Gorgias). Pourtant il existerait des Lois naturelles, et peut-être aussi un Droit naturel. L’idée qu’il existe des lois naturelles nous vient des stoïciens et a été particulièrement développée par Cicéron (De Republica) : quel que soit le type de pouvoir politique de la cité, nul ne peut s’en affranchir. Mais qui dit loi dit législateur : existe-t-il ?, quel est-il ? Sans répondre à ces questions, la science s’efforce de déchiffrer ces lois.

    - Droits naturels / droits positifs : les premiers sont fondés sur l’idée que l’être humain possède un certain nombre de droits inaliénables du fait de sa nature humaine, alors que les seconds, inscrits et codifiés dans des textes, sont les seuls à avoir force de loi.

    - Nature / culture : cette distinction classique oppose le patrimoine génétique qu’on a acquis à la naissance à l’accumulation de connaissances, de compétences et de savoir-faire que l’on acquiert tout au long de son existence dans le milieu où l’on vit. Cette dichotomie a été battue en brèche par Philippe Descola (Par-delà nature et culture, 2005). Il montre que ce dualisme qui fonde l’anthropologie contemporaine n’est pas universellement partagé : c’est une représentation particulière du monde, propre à la société occidentale (société qualifiée de naturaliste, à côté des sociétés animistes, totémistes ou analogistes).

    - Sciences naturelles / sciences physiques. Cette distinction oppose les disciplines qui portent sur des matières ou des êtres vivants à celles qui concernent des choses inertes. Dans ces dernières la mécanique tend à devenir la science-reine (le Dieu horloger de Voltaire), servant de modèle à toutes les autres. Cet impérialisme de la connaissance, inspiré de l’approche galiléenne, a été critiqué par Husserl (La crise des sciences européennes, 1954) qui lui reproche notamment d’avoir creusé un fossé entre la science et le « monde de la vie ».

     

    On pourrait multiplier les oppositions. Mais arrêtons-nous un instant sur ce qui est plus un jugement de valeur qu’une distinction opérationnelle : la question de la valeur du « naturel ». C’est une grande illusion, manipulée par des intérêts mercantiles : le « bio » fait vendre ! En fait l’alimentation bio n’est ni meilleure ni pire pour la santé humaine que les produits de l’agriculture dite conventionnelle. Meilleure peut-être pour les écosystèmes. Les produits naturels de la Nature sont très souvent très dangereux (p. ex. l’amanite phalloïde très commune dans nos bois de feuillus ou de conifères).

     

    En définitive que répondre à cette question : la Nature existe-t-elle ?

    Je répondrai par deux citations, dont je ne me souviens plus de l’origine (les ai-je inventées, j’en doute)

    « La Nature est la mesure de notre ignorance ou de notre impuissance »

    « La Nature n’existe que dans les yeux de celui qui la regarde »

    Et elle se fiche bien de nous autres humains la Nature !

     

    « Dans le concert des nations, y a t-il des Bons et des Méchants ?Le Terre est-elle un être vivant dont nous serions les parasites ? (L’hypothèse Gaïa) »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 4 Mai 2022 à 11:13

    Merci pour cette note érudite tentant de décrire précisément ce qu'on peut mettre comme idées et concepts derrière ce terme de "nature". Il y a pourtant, peut-être, une dimension qui n'y figure pas, qu'on peut décliner de deux manières totalement opposées.

    La première, c'est dire que la nature, c'est tout ce qui existe ; donc  l'homme en fait partie, comme tout ce qu'il peut inventer. Ainsi, selon cette conception, rien n'est artificiel, puisque l'artificiel est créé par l'homme qui appartient à la nature. En conséquence, on en arrive à cette conclusion paradoxale : ce qui est artificiel est naturel. Mais il faut bien avouer qu'après avoir dit ça on n'est pas vraiment plus avancés...

    La seconde consiste à dire qu'il y a la nature d'un côté, et l'homme de l'autre, une sorte de dualité. Philosophiquement, l'homme serait le "sujet", et le reste de la création "l'objet". C'est une conception plutôt chrétienne il me semble, puisqu'il est souvent dit dans la littérature biblique, sous diverses formes, que l'homme dominera la Terre et tout ce qui s'y trouve. C'est mettre ainsi l'homme au-dessus de la nature, avec le pouvoir de l'exploiter à son gré. Ce qui peut conduire aussi à toutes les dérives environnementales qu'on constate aujourd'hui.

    Dans les deux cas, quoi qu'on puisse penser, cela ne nous mène pas à nous conduire avec plus de sagesse.

     

      • Jeudi 5 Mai 2022 à 17:59

        Il me semble que le judéo-christiannisme emploie peu la notion de Nature.. Dans la genèse par exemple, on parle de "création" . Et l'homme donc a été créé le 6eme jour. Il fait donc bel et bien partie de la "création". Il a été créé "à l'image de Dieu", c'est à dire qu'il peut créer à son tour, pour le meilleur et pour le pire (le pire c'est "Satan"). Evidemment, ce 'est pas historique, mais symbolique. Pour ma part, je me reconnais bien dans ce schéma.

      • Pierre M.
        Vendredi 6 Mai 2022 à 11:43

        On n’évoque pas la Nature dans la Bible, mais seulement la Création. Contre-pied de certains cultes polythéistes qui célébraient certains attributs de la nature (les arbres, les sources, les fleuves…) ? Voir par exemple Gilgamesh et les cèdres de Humbaba. En tout cas Noé a oublié d’embarquer les végétaux. Comment ont-ils pu survivre au Déluge ? Où la colombe a-t-elle trouvé son rameau d’olivier ?

      • Vendredi 6 Mai 2022 à 17:47

        Oui, c'est vrai, on se demande ce qu'ils ont mangé sur la bateau et après! En fait, la bible n 'est pas parfaite et complète en tout. Voir par exemple la pomme et Eve, insupportable! La genèse est une poésie écrite par des prêtres au retour de Babylonne, et ces derniers étaient des hommes, faillibles; un beau fruit peut être vénéneux (je pense par exemple au passage de la mer Rouge, qui aurait pu être écrit par Poutine!), mais de temps en temps il y a des passages géniaux, qui vous aident à contempler votre vie. Exemple encore, le buisson ardent, la première définition correcte d'un Dieu unique, pour moi à la base de la culture Juive, qui,, je le pense, est excellente, sinon la plus intéressante.

    2
    Pierre M.
    Mercredi 4 Mai 2022 à 15:44

    Intéressantes remarques mais qui partent d’erreurs de définition.

    Première remarque : la Nature n’est pas « tout ce qui existe », ce qui est plutôt la définition de l’Univers. La Nature est en fait une réalité matérielle soumise à des lois de causalité, un cadre en quelque sorte, dans lequel dans lequel l’être humain se meut et agit. Il peut agir bien ou mal  (on en a des exemples en ce moment). Et c’est justement ce que quelqu’un comme Heidegger reproche à la technique humaine moderne : elle ne se contente pas de « dévoiler » ce que la générosité de l’Etre est en mesure de lui donner spontanément, elle est mise en demeure (pro-vocation) à fournir plus que le fonds n’est disposé à offrir. Pour reprendre le concept de Nature : l’humanité demande à la Nature plus de fruits qu’elle n’est capable de lui fournir sans être violentée.

     

    Seconde remarque : la dualité nature / culture n’est pas unanimement reconnue. Je renvoie à Philippe Descola : l’ontologie naturaliste européenne consiste à croire en une coupure entre soi et autrui, à se représenter le monde en termes d’opposition entre nature et culture. Donc à croire que la Nature existe indépendamment des êtres humains. Il y a d’autres ontologies dont le point de vue est très différent (totémisme, animisme, analogisme). Cette classification distingue les groupes humains selon leur conceptions de la relation humains / non humains. Elle est fondée sur deux critères : intériorité et physicalité. La Nature telle que la conçoivent les Occidentaux est donc une invention qui conduit à l’anthropocentrisme. Très présent évidemment dans les religions du Livre.

     

    Ces deux observations expliquent pourquoi nous en sommes venus à surexploiter la Terre-Mère, la Pachamama des peuples andins.

      • Dimanche 8 Mai 2022 à 16:53

        Je ne vois pas pourquoi tu parles "d'erreurs de définition". On donne au mot de "nature" le contenu qu'on veut, tout comme un axiome, et ensuite on examine les conséquences que chaque définition implique. Les deux définitions que j'ai citées me semblent faire le tour de la question, puisque, en matière de logique, elles sont analogues à des "OU exclusif" : ou l'homme fait partie de la nature au même titre que tout être vivant, ou bien il y a la nature d'un côté et l'homme, qui n'en ferait pas partie, de l'autre.

        Je voudrais donc que tu m'expliques la différence que tu fais entre "nature" et "univers", puisque apparemment c'est la que réside notre divergence de point de vue. La seule que je vois, c'est que la nature concerne uniquement à ce qui est vivant dans l'univers, par conséquent elle n'en est qu'un des composants

    3
    Pierre M.
    Lundi 9 Mai 2022 à 00:25

    Certes le mot nature est polysémique : on peut sinon lui donner « le contenu qu’on veut » en tout cas il prête à de nombreuses significations.

     

    Mais il existe plusieurs termes pour qualifier des entités voisines : nature, univers, cosmos. S’il y a des termes différents c’est qu’il y a de dénotations différentes. Généralement on prête au mot nature un sens plus restreint qu’au mot univers.

    Voilà ce qu’écrite le Trésor de la Langue Française (TLF)

    Nature : « Ensemble de la réalité matérielle considérée comme indépendante de l'activité et de l'histoire humaines. »

    Univers : « L'ensemble de tout ce qui existe, la totalité des êtres et des choses. »

      • Lundi 9 Mai 2022 à 09:20

        En acceptant cette définition du TLF, on prend parti : l'homme ne fait pas partie de la Nature, on le considère comme une entité à part. L'homme est le sujet, et tout le reste est objet, l'ensemble des deux formant l'Univers. Je trouve un peu facile de se donner ainsi le beau rôle, alors qu'avec la vision de l'Histoire et tout ce qui se passe actuellement, on devrait se rendre compte que ce fameux "sujet à part" tellement supérieur, tellement fait "à l'image de Dieu", peut disparaître du jour au lendemain.

    4
    Lundi 9 Mai 2022 à 17:59

    Pour ma part, Jean-Jacques, je pense que l'Homme est en effet nettement supérieur au reste de la créatrion. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas capable de s'autodétruire. Il a des capacités incommensurables, mais c'est pour le meilleur comme pour le pire. Et le pire n'est jamais bien loin, l'actualité en est un exemple tragique;

      • Pierre M.
        Lundi 9 Mai 2022 à 23:28

        Jean-Jacques, si chacun a sa propre définition il est impossible de dialoguer. D’ailleurs rappelle-toi ce qu’écrivait Camus dans L’étranger : « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » (phrase souvent citée et souvent déformée). Je ne veux pas le malheur du monde, alors j’essaie de me référer aux définitions « officielles ».

         

        Benoît : l’homme « nettement supérieur au reste de la création » ? La voilà bien la démesure, l’hubris, de l’espèce humaine, qui risque de la conduire au désastre. C’est un sentiment instinctif bien naturel, commun sans doute à chaque espèce, mais qui ne repose objectivement sur aucune échelle de valeur. Sauf à se créer sa propre échelle. Les fables de La Fontaine fourmillent d’exemples, comme « Le chêne et le roseau ».

        Je ne sais quel peut être le niveau de conscience d’être des végétaux et des animaux, mais il est sûr qu’ils ont une représentation du monde qui les entoure : ils vivent dans un environnement sensoriel qui leur est propre : l’umwelt que le biologiste von Uexküll a mis d’abord en évidence pour les tiques. Les tiques sont reines dans leur umwelt !

        Les anciens Grecs ne se faisaient pas beaucoup d’illusion sur la sous-disant supériorité humaine en rappelant qu’Epiméthée avait été chargé par les Dieux de distribuer aux êtres vivants les qualités nécessaires à leur survie. Imprévoyant il avait oublié les hommes, les laissant nus, faibles et sans défense. Il a fallu que son frère Prométhée vole le feu sacré des Dieux pour l’apporter aux Hommes. Il fut sévèrement puni pour cela.

        Légende pour légende la Mythologie vaut bien la Bible.

    5
    Mardi 10 Mai 2022 à 20:54

    Pierre.

    Notre désaccord est complet, et ce n'est pas nouveau. L'Homme selon moi, a des capacités d'innovation bien plus grandes que le chien ou le poireau. Mais ses capacités, je le redis, peuvent l'amener au pire comme au meilleur!

      • Pierre M.
        Mercredi 11 Mai 2022 à 00:01

        Supérieur, inférieur ? Cela ne veut rien dire. Tout dépend de l'échelle de valeur à laquelle on se rapporte. Si c'est la capacité d'inovation, d'accord. Si c'est la capacité d'adaptation, le virus est très nettement supérieur à l'être humain.

      • Pierre M.
        Mercredi 11 Mai 2022 à 10:54

        Il est assez naturel que, spontanément, on attribue plus de qualités à ses proches qu'à ceux qui nous sont élolgnés. Mais un tel sentiment peut générer des excés : le nationalisme entre habitants de pays différents, le racisme lorsqu'il s'agit d'ethnies différentes. Dans les relations êtres humains -animaux c'est ce qu'on qualifie de spécisme. Cette forme d'anthropocentrisme nuit à la défense du bien-être animal.

      • Mercredi 11 Mai 2022 à 15:14

        Oui, Pierre, je suis un spéciste, assumé. Et d'ailleurs notre société est entièrement spéciste. Tuer un Homme vaut des dizaines d'années de prison, tuer un cchien une réprobation, sans plus, et manger un poireau, une habitude. Tuer un virus est plus dur, mais on n'est pas loin d'avoir eu le dessus. Fort heureusement!

    6
    Mardi 10 Mai 2022 à 21:48

    Comme souvent dans nos discussions, nous nous heurtons  à des questions de définitions, au point de perdre de vue le sujet initial. Ce fut d'abord la Nature, à ne pas confondre avec lUnivers, c'est à dire tout ce qui existe, ce que j'accorde volontiers à Pierre, même si je trouve que la définition du TLF conduit ipso facto à placer l'homme au-dehors et au-dessus de l'ensemble du règne vivant, comme le prétend Benoît.  Ensuite, nous voyons Benoît considérer que l'Homme est "supérieur" à tout le reste. Encore faut-il définir ce que nous entendons par "supérieur" : intelligence ? Capacité d'innovation ? Conscience ? Sens des valeurs ? Ou même, comme disait Staline : "L'Homme, combien de divisions ?" ce qui revient à dire que l'Homme se distingue par sa capacité de nuisance.

      • Pierre M.
        Mardi 10 Mai 2022 à 23:57

        Lorsqu'on distingue deux (ou plusieurs)  sous-ensembles dans un même ensemble, c'est une partition et non un classement : il n'est pas dit que l'un est supérieur ou inférieur à l'autre.

        Quant à le citation de Staline, je crois qu'elle était celle-ci "Le Vatican, combien de divisions". Divisions au sens militaire du terme.

         

         

    7
    Daniel
    Mardi 17 Mai 2022 à 15:12

    Commentaires ci-dessous déjà évoqués en partie par mail, et de retour de congés j’arrive après un ensemble de commentaires réalisés sur le blog par d’autres personnes :

    1/ Pour tenter de compléter les définitions de la Nature exprimées par Pierre, je ne ferai que citer le lien de la Toupie qui contient six sens de la Nature, structurés selon l’Etymologie : du latin natura, action de mettre au monde, génération, naissance, nature, essence, propriété, qualité, constitution, manière d'être...

    Sans être spécialiste de ce domaine, effectivement j’aborde souvent une question par le mot et son contraire, je me réfère donc au mot naturel / artificiel

    2/ Dans la Physique, Aristote définit une chose artificielle (un objet fabriqué) comme ce qui ne possède pas son propre principe d'existence, au contraire des êtres naturels (les êtres vivants) qui contiennent en eux-mêmes le principe de changement.

    Les artifices reçoivent donc leur principe d’existence d’une force extérieure à eux, ils sont créés par une main extérieure. Ce qui est naturel (phusis) se distingue donc de ce qui est artificiel (techné).

    Je pense que cela illustre bien la différence entre un lac artificiel créé pour la construction d’un barrage, d’un lac de montagne issu du relief d’origine de la terre et de la captation des eaux naturelles (pluies, fonte de la neige et/ou de la glace).

    Les marais salants formés par l’Homme voici plusieurs siècles ne sont pas qualifiés de naturels ni d’artificiels, pourquoi ? Je pense qu’en prenant Guérande, c’est parce qu’ils sont alimentés par l’eau de mer et par l’évaporation sous l’action du soleil et du vent produit du sel, et que les séparations de chaque bassin de stockage d’eau (vasière) restent à l’état sauvage. Par ailleurs la Loire est le plus grand fleuve sauvage d’Europe, qualifié de rebelle.

    3/ Leibnitz, est le premier qui dans les Principes de la nature et de la grâce (1714), a formulé la question telle que : «Pourquoi il y a plutôt quelque chose que rien ? ». Il précise ensuite que rien ne se fait sans raison.

    Ce qui conduit à la question récurrente :

    "Il se peut que l'humanité ne soit qu'un accident de parcours, une "erreur" de la Nature. Une telle pensée peut nous aider à relativiser l'importance que nous nous sommes octroyée sans humour, tels des enfants prodigues d'un miracle qui restera à jamais insondable. La foi en l'être humain n'est, en aucun cas, une garantie de sa pérennité."
    Jean-Claude Besson-Girard - Decrescendo cantabile, 2005, page 171

    4/ Il y a donc à s’interroger sur la relation entre l’Homme et la Nature.

    La Nature étant un bien commun de l’Humanité, celui-ci devrait donc, pour des raisons morales et rationnelles, être respecté de tous, car il a une valeur patrimoniale unique. La Nature constitue un capital naturel qui conditionne la vie humaine sur terre.

    Cependant se pose la question « Laisser la nature retourner à l’état sauvage est-ce un bien ? »

    5/ La tendance actuelle émise par certains, serait que l’Homme détruit la Nature, ce qui va le conduire à sa perte !

    6/ Enfin rappelons la citation « Chassez le naturel il revient au galop » Horace, et la métaphore de Baudelaire qui met en relation « la Nature » et « un temple » qui permet de comparer notre environnement à un lieu sacré, divin. Cette métaphore est présentée au  travers des arbres pris comme de « vivants piliers ». Sacrée, la nature est également immuable. 

      • Pierre M.
        Vendredi 20 Mai 2022 à 16:10

        Si l’on s’en tient à la première définition de la Nature donnée par le Dictionnaire de l’Académie française (« Ce qui, dans la réalité, apparaît comme donné, comme indépendant de la volonté ou de l’action humaines ») très proche de celle du TLF (voir ci-dessus), beaucoup de questions posées à son sujet n’ont pas de sens.

        Qu’est-ce que l’état sauvage, sinon l’état de nature ?

        Qu’entend-on en affirmant que l’homme détruit la nature ? Il ne fait que détruire son environnement. Il brûle sa maison commune. Elle en a vu bien d’autres cette brave Nature et de beaucoup plus d’ampleur, comme la grande extinction de la fin du Crétacé il y a 66 millions d’années. 

    8
    Pierre M.
    Vendredi 27 Mai 2022 à 00:03

    Ces échanges montrent bien qu’il peut exister différentes conceptions de ce qu’est la Nature. Mais il est un point sur lequel nous nous accordons tous, c’est que cette entité, quelle qu’elle soit, est indispensable à notre existence mais que l’activité humaine lui porte préjudice.

    Plusieurs philosophes se sont préoccupé de cette situation, au premier rang desquels Hans Jonas, l’auteur du célèbre Principe de responsabilité qui a inspiré le « principe de précaution », inscrit – qu’on le déplore ou pas – dans notre Constitution en 2005, sous la forme d’une « Charte de l’Environnement ».

     

    Dans l’ouvrage « Une éthique pour la Nature » (Desclée de Brouwer ed., 2000), sont rassemblés plusieurs entretiens du philosophe allemand. Il s’y inquiète des conséquences de l’abandon de l’homme dans un monde dont Dieu s’est éloigné. Le triomphe de l’économie libérale de marché oriente l’humanité vers la satisfaction de besoins à court terme et risque de rendre impossible sa survie sur cette planète. Et l’homme en est le seul responsable. Jonas évoque un « attentat technologique… perpétré contre la nature ».

    Il est vrai que « toute vie se caractérise avant tout par la spoliation et la voracité, et qu’il doit en être ainsi ». Cependant « ce Devoir-être  ne vaut que pour des êtres dotés de raison », conscients des limites à ne pas dépasser. Ce qui n’est pas notre cas.

     

    Pourtant la conscience de cette situation existe, mais les conséquences n’en sont pas tirées. Il se demande si « l’homme grisé par des besoins sans cesse croissants et la possibilité illimitée de les satisfaire » n’a pas tiré la leçon des premiers coups de semonce. « L’humanité aurait-elle besoin d’autres Tchernobyl ? ». Notons que depuis, en 2011, il y a eu Fukushima et que rien n’a changé. « La technique et les sciences de la nature nous ont fait passer de l’état de sujets dominés par la nature à celui de maîtres de la nature ».

     Il ne croit pas à la possibilité de changement spontané des comportements. Seule l’angoisse, l’éducation par l’intermédiaire des catastrophes pourra modifier la donne. C’est la peur qui aujourd’hui limite l’étendue et l’intensité des conflits.

    « La démocratie, telle qu’elle fonctionne actuellement – et orientée comme elle l’est à court terme – n’est effectivement pas la forme de gouvernement qui convient à long terme ». Il en déduit l’inéluctabilité du renoncement à la liberté individuelle. Pour lui il est certain que de nouvelles catastrophes naturelles engendreront de nouvelles formes d’autoritarisme : nous en avons eu un petit avant-goût avec la pandémie de la Covid.

     

    Il faut changer de cap. « Je pense que la philosophie doit élaborer une nouvelle métaphysique de l’être au centre de laquelle il conviendrait de méditer sur la place de l’homme dans le cosmos et sur sa relation vis-à-vis de la terre ». Emancipés de Dieu, conscients qu’une liberté illimitée ne peut que s’autodétruire, les êtres humains doivent s’interroger sur ce qu’ils ont le droit de faire ou de ne pas faire.

     

    Très rapidement décrites ici, telles  sont les bases du Principe de responsabilité de Hans Jonas. La lecture attentive de ce petit livre s’impose.

    9
    Pierre M.
    Lundi 27 Juin 2022 à 23:17

    Les idées avancent dans ce sens.

    Dans un article du « Monde » daté du 28/06/2022, (Reconnaître des droits à la nature, c’est amorcer une révolution démocratique pour respecter les intérêts non humains), la juriste Marine Calvet montre l’intérêt croisant porté à cette question. Soulignant que les lois étant rédigées dans des ministères où les lobbys industriels sont mieux représentés que les fleuves et les forêts, elles prennent rarement en compte la réalité du fonctionnement du vivant. En France surtout, pays marqué par une relation traditionnellement patrimoniale et productiviste à la nature.

    Les choses commencent à évoluer.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/27/marine-calmet-reconnaitre-des-droits-a-la-nature-c-est-amorcer-une-revolution-democratique-pour-representer-les-interets-non-humains_6132245_3232.html

     

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :