• Trop chère énergie ?

    par Pierre MARSAL

    19 octobre 2021

     

    Les prix de l’énergie flambent : nos factures de gaz et d’électricité s’envolent et ce n’est sans doute qu’un début. Une des références, le prix du baril de pétrole brent plafonne à près de 85 dollars ce mardi 19 octobre 2021. Revient régulièrement en tête l’épouvantail du baril à 100 dollars1.

    Pour certains ce serait une catastrophe, pour d’autres une chance pour l’environnement. Pour certains, optimistes béats, il faut faire confiance à la technoscience, l’épuisement des ressources naturelles n’est pas plus un problème que ne pouvait l’être la raréfaction des gisements de silex facilement exploitables pour nos ancêtres du néolithique. Et puis, du moment que ces ressources sont à notre portée, nous serions bien bêtes de nous en priver. A l’autre extrême on se lamente de notre propension irresponsable à consommer en une ou deux générations tout ce que la planète a mis des millénaires à produire. Non seulement nous épuisons, mais nous empoisonnons l’écoumène de nos descendants.

    Sommes-nous prisonniers de la drogue énergétique ? Plus généralement, y a-t-il une « malédiction des matières premières », comme la vivent par exemple le Venezuela, l’Algérie, le Nigéria ?

     

    Sans avoir la prétention de répondre à ces questions, il est bon de rappeler quelques principes de base pour que chacun puisse se faire une opinion.

    Prenons le cas du pétrole, principal élément du mix énergétique et matériau actuellement irremplaçable pour la pétrochimie. Pendant longtemps il fut considéré comme une ressource naturelle et illimitée, donc gratuite. Pour le commercialiser il suffisait que son prix de vente soit au moins égal à la somme de ses coûts de mise à disposition, production, transport notamment. Lorsqu’on a pris conscience de ce que cette ressource n’était pas illimitée et que sa consommation s’accélérait, l’idée d’un « pic pétrolier » a incité économistes et politiques à réviser leurs concepts : il fallait intégrer dans le prix une rente de rareté destinée à la production de ressources de substitution. En principe ce devrait être l’objet des diverses taxes (TICPE, l’ex TIPP) qui pèsent sur la vente des produits pétroliers. En principe aussi cette taxe ne devrait pas être détournée de cet usage. On comprend l’embarras actuel du gouvernement à essayer de diminuer l’impact du renchérissement de l’énergie sans jeter aux orties ces principes essentiels.

    Bien au contraire ces taxes devraient être substantiellement augmentées pour financer toutes les autres alternatives notamment les énergies renouvelables. Le pétrole n’est pas assez taxé !

     

    Encore ce raisonnement est-il fait dans la problématique de la soutenabilité faible qui ne tient compte que du volume du capital productif engagé. La soutenabilité forte voudrait que l’on conserve ou que l’on reconstitue un stock équivalent des mêmes ressources pour les générations futures. On ne peut pas refabriquer le pétrole que l’on consomme : il n’est pas possible de substituer un capital artificiel à ce capital naturel.

     

    Là ne s’arrêtent pas les effets de la consommation du pétrole : elle produit ce qu’on appelle des externalités négatives. On les connait bien : pollution, dérèglement climatique…Ces effets ne sont pris en compte sur aucun marché. Pour y remédier les économistes (comme Arthur Pigou qui a introduit la notion d’externalités) estiment nécessaire d’imposer une taxe au moins égale à la différence entre les coûts supportés par la société et les coûts de production privés. C’est le point de départ du principe pollueur-payeur ou encore de l’émission de droits à polluer. Instruments dont la pertinence et le mode de fonctionnement laissent souvent à désirer.

    De ce point de vue encore le pétrole n’est pas assez taxé !!

     

    Certains vont encore plus loin, considérant qu’on ne peut pas plier la nature à la logique marchande, qu’il est impossible d’évaluer monétairement les éléments naturels, que le marché n’est pas capable d’en réguler l‘usage, etc. D’autres comme le mathématicien Georgescu-Roegen, un des pères de la bio-économie, estime qu’à l’instar de l’énergie, toute matière est soumise au principe de l’entropie, c’est-à-dire qu’elle se dégrade inexorablement. Quoiqu’on fasse, recyclage, substitution ou autre, nous allons vers la pénurie. D’où l’idée d’une inévitable décroissance.

     

    D’un autre côté il y a les réalités de la situation économique et sociale. Dans le monde tel qu’il est actuellement le renchérissement apparemment inexorable de l’énergie met notre société en péril de désagrégation. Ce sont les plus fragiles des individus et des peuples qui souffrent et qui souffriront le plus de la conjonction tant du désordre climatique que du désordre énergétique, sans autre solution alternative dans la société actuelle.

    Sous cet aspect, le pétrole est beaucoup trop taxé !!!

     

    Nous sommes confrontés là à une contradiction essentielle qui se résoudra sans doute au prix d’une crise majeure dont on ne peut aujourd’hui deviner les prémisses et les développements. Cela va beaucoup plus loin que les crises que Marx pressentait, ces moments où l’accumulation de capital était à l’origine des obstacles auxquels il se heurtait. Il est à espérer que l’éventuelle fin du pétrole ne produise pas le même effet que celui décrit dans la célèbre dystopie de Barjavel (Ravage, 1943) : l’approvisionnement en électricité ne se faisant plus c’est toute la société qui bascule progressivement dans la barbarie des temps antiques.

     

    Le pire n’est pas certain. Mais…

     

    1. Le fait qu’il y ait eu un épisode de « prix négatifs » en avril 2020 aux USA ne remet pas en cause cette tendance haussière, ce fut seulement une des conséquences de la défaillance de la libéralisation des marchés des produits énergétiques. Tout comme l’aberration actuelle du mode de fixation du prix de l’électricité qui pénalise particulièrement les Français (sur la base du coût marginal de la mise en route des unités les plus coûteuses). Tout comme l’utilisation du pétrole pour réaliser l’équilibre budgétaire des pays producteurs (notion de « point mort budgétaire » ou fiscal breakeven). Mais c’est là un autre problème.

     

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 22 Octobre 2021 à 20:18

    Je suis un adepte de Jean-Marc Jancovici et comme lui je ne vois pour le moment qu'une solution:le nucléaire. Certes on peut faire des économies d’énergie mais quand vous habitez à la campagne, il n'y a souvent pas d'alternative à la voiture. On peut aussi revenir 100 ans en arrière où les gens vivaient dans un rayon de 20 km. On se mariait avec une fille du village ou du village d'à côté. Tout le monde ne peut pas non plus habiter en ville souvent par faute de moyens. Ayant aussi une pensée pour les Libanais où le pays en faillite ne peut plus acheter de l’énergie. Est-ce cela qui attend les générations futures? Autant s’arrêter de faire des enfants. Jean-Paul.

    2
    Samedi 23 Octobre 2021 à 23:28

    Ce n'est une contradiction que si on raisonne à court terme et en termes uniquement économiques. Il est clair qu'aucun gouvernement démocratique ne peut changer du jour au lendemain notre manière de vivre, avec des voitures pour aller travailler et suffisamment d'argent en fin de mois pour vivre décemment. L'investissement d'un état pour préparer le long terme ne peut se faire au détriment des ressources nécessaires pour la survie des individus dans le présent, et cela risque d'être insuffisant pour arrêter la montée de la température du globe, surtout si tous les états ne font pas à peu près la même chose en même temps.

    Quant aux énergies dites "propres", si on écoute tout le monde, il n'y en a pas. Plus de combustibles fossiles, plus de nucléaire, ressources hydrauliques toutes exploitées, éolien contesté et photovoltaïque aussi (bilan global à peine positif), biomasse insuffisante, et pour le reste c'est epsilon. Sans parler du fait que quasiment toutes ces sources conduisent à un seul vecteur : l'électricité, avec en effet des effets à la "Ravage" de Barjavel en cas d'insuffisance ou de pénurie.

    Et je termine avec mon "dada" (si on peut dire) : la démographie, comme Jean-Paul. Si le genre humain arrivait à se limiter à quelques centaines de millions de personnes sur Terre, il n'y aurait pas d'effet de serre anthropique, et il y aurait suffisamment d'énergie pour vivre bien sans se préoccuper d'économiser ou de choisir les "bonnes" énergies.. Tous les problèmes évoqués ces temps-ci se réduiraient à la question suivante : comment diminuer drastiquement en un siècle la population du globe sans "solution finale" . Mais la question reste posée; Et ne la réduisons pas comme l'ont fait les chinois, à sortir de la politique de l'enfant unique au prétexte qu'il n'y aurait plus assez de monde pour payer les retraites, ce serait regarder le problème par le petit bout de la lorgnette.

    Mais je suis pessimiste : si "Ravage" est une dystopie, la baisse intelligente et pacifique de la population est une utopie.

    3
    Pierre M.
    Dimanche 24 Octobre 2021 à 00:17

    Moi aussi j’aime bien Jancovici. Compétent, lucide et clair, convaincant..

    Mais sur ces questions, le pour ou le contre est affaire de point de vue.

    Ainsi, si l’on parle de coût de production, Janco fait remarquer que le kwh éolien est dix fois plus cher que le kwh pétrolier. La réponse pourrait alors être « arrêtons d’en construire ». Ce n’est donc pas le seul critère à prendre en compte.

     

    Quant au coût du kwh à la sortie d’une centrale nucléaire, il dépend de nombreux paramètres pas tous maîtrisables. Pour l’instant on nous assure que le coût de l’électricité nucléaire française est le plus faible derrière celui de l’énergie hydroélectrique, dont on ne peut plus développer la production. Mais c’est sujet à variations : un rapport récent et sévère de la Cour des Comptes (mars 2021), révise – encore une fois – à la hausse les prévisions antérieures et prévoit une augmentation massive des prix de l’électricité dans les années à venir. Beaucoup dépendra bien sûr de la politique qui sera menée (démantèlement des centrales, grand carénage des usines existantes, devenir de l’EPR, mini-centrales…). Mais, comme je l’avais indiqué dans le texte précédent, ce n’est qu’un coût de production. Il n’intègre certainement pas le coût des externalités négatives qu’il entraîne (extraction, transformation polluante et transport des combustibles destinés à fournir les yellow cakes des centrales). Sans compter que nous importons la quasi-totalité de cet uranium. Nous en sommes aussi dépendants que du pétrole.

     

    Il y a beaucoup d’autres problèmes posés par ce type d’énergie : manque de flexibilité de la production, d’où problèmes de stockages qui vont devenir de plus en plus lourds. Et surtout peut-être, cette option nécessite une concentration de la régulation, une hyper- sécurisation du système. Autrement dit une centralisation de tous les pouvoirs qui risque de générer un mode de gouvernance de la société de plus en plus centralisé, fliqué et autoritaire.

     

    Alors pour ou contre ? Je n’en sais pas sassez pour avoir une conviction. Une seule chose est sure et souvent répétée : la meilleure énergie c’est celle qu’on économise.

     

    Quant à la démographie. En dehors de l’Afrique la transition démographique est en cours sur la planète (mortalité faible et natalité faible tendent à s’équilibrer). La vision catastrophique d’un Malthus a été contredite par Ester Boserup qui a montré que la pression démographique a souvent un effet positif (elle a aussi insisté sur l’importance des femmes). Que serait un monde avec de plus en plus de vieux et de moins en moins de jeunes ?

      • Dimanche 24 Octobre 2021 à 10:40

        Je ne crois pas que l'avenir soit à l'ypercentralisation du réseau électrique, au contraire. Aussi bien l'Etat que les experts poussent au développement de l'autoconsommation des particuliers à partir du photovoltaïque : on consomme ce qu'on produit, si c'est trop, on stocke ou on revend à EDF, si ce n'est pas assez EDF et le stockage fournissent ce qui manque. C'est foncièrement différent de la politique récente où tout ce que produisait un particulier était revendu à EDF. Le réseau électrique étant en place, il n'y a pas d'investissement supplémentaire à faire côté distributeurs d'énergie, et côté particulier il faut mettre en place un petit stockage sur batteries et un organe de régulation avec des aides publiques.

        Ceci vaut pour les particuliers. Pour les usages intensifs de l'électricité (industrie lourde, ciment, sidérurgie, il faudra toujours s'appuyer sur un réseau peut-être un peu plus résistant et capacitaire, mais sans les problèmes très difficiles de connexion de millions de sources petites et intermittentes.

        Voir par exemple :

        https://tecsol.blogs.com/mon_weblog/2019/10/-tecsol-autoconso-le-nouveau-logiciel-du-bureau-d%C3%A9tudes-tecsol-pour-r%C3%A9ussir-vos-projets-dautoconsomm.html

        ou encore : https://www.edfenr.com/autoconsommation/?_gl=1*1pl8qig*_up*MQ..&gclid=EAIaIQobChMImoy_9s3i8wIV74FQBh3J1Aj5EAAYAiAAEgL6rfD_BwE

        J'ai bien connu dans le passé André Joffre, le patron de Tecsol, quelqu'un de très sérieux et très actif.

         

    4
    Pierre M.
    Dimanche 24 Octobre 2021 à 15:41

    Bien d'accord avec toi Jean-Jacques. 

    C'était d'ailleurs la thèse de Jeremy Rivkin avec sa "Troisième révolution industrielle" et sa technologie des smart grids.

    La question est de savoir comment pourrait s'organiser la juxtaposition et la coexistence de méga-réseaux de distribution d'énergie d'origine nucléaire avec les "pipis de chat" des producteurs-consommateurs individuels. 

    Je crains que la prégnance du méga ne l'emporte sur la multitude des micro.

      • Dimanche 24 Octobre 2021 à 16:14

         La notion d'autoconsommation que j'ai décrite pour Une maison peut être transposée, ne serait-ce que pour écrêter les variations d'utilisation, au niveau d'un quartier, d'un village, d'une petite ville pour les besoins non industriels. Rien n'empêche un village d'avoir du PV partout sur les toits des bâtiments communs et des maisons, avec une éolienne à proximité, un stockage commun par batteries et bien sûr des règles strictes d'utilisation, pour pouvoir fonctionner sans faire du tout appel au réseau EDF. Le gros réseau serait alors quasiment exclusivement dédié aux utilisations intensives de l'électricité. Je crois avoir déjà vu des expériences en cours en ce sens.

        Mais évidemment, la généralisation de ce concept implique de très importants et coûteux travaux, avec en plus la nécessité toujours présente  d'isoler les bâtiments, voire d'obliger l'immobilier neuf à devenir passif.

    5
    Dimanche 24 Octobre 2021 à 16:26

    En complément à mon post précédent, voici un exemple de projet d'autoconsommation collective en Auvergne : https://www.auvergnerhonealpes-ee.fr/fileadmin/user_upload/mediatheque/enr/Documents/Reseaux/PEGASUS/Etude_technique_PEGASUS_FINAL.pdf

    Avec quelques difficultés administratives, bien sûr... : https://conseils.xpair.com/actualite_experts/autoconsommation-collective-itineraire-legislatif.htm

    6
    Marie Odile
    Dimanche 24 Octobre 2021 à 17:32

    Ce que décrit Jean Jacques est excellent dans des régions sous-développées comme il en existe en Afrique où les grands réseaux n'existent pas. Ils suatent une étape de développement. En plus ils ont beaucoup de soleil !

    7
    Pierre M.
    Lundi 25 Octobre 2021 à 15:11

    Oui, ce qui était un handicap des pays en voie de développement ou des pays moins avancés, peut devenir une chance pour eux. Déjà la plupart d’entre eux ont franchi une phase du développement technologique, sautant par exemple au stade du téléphone cellulaire sans passer par la construction de lourde infrastructure nécessaire au téléphone filaire. Autre exemple, en matière de foncier, bon nombre de ces pays très en retard, misent aujourd’hui sur la création de systèmes de cadastres digitaux fonctionnant en blockchains.

    En matière d’énergie bien sûr des projets sont développés au niveau local. Mais pas seulement : le Sahara pourrait être un gros pourvoyeur d’énergie électrique en courant continu à haute tension (HVDC) de l’Europe et de l’ensemble du Bassin méditerranéen (projet Desertec né déjà en 2003, et autres projets présentés à la conférence internationale Jicable à Versailles en juin 2015).

     

    Mais cela ne répond pas à la question initialement posée sur le prix du pétrole.

    Comme on pouvait s’y attendre les pouvoirs publics n’ont pas opté pour une baisse de la taxation, coûteuse et allant à l’encontre des principes rappelés dans notre texte du 19 octobre. Ils ont choisi une « indemnité inflation » de 100 euros qui ne satisfait personne et en mécontente beaucoup. Comme l’on dit c’est un « cautère sur une jambe de bois ». Elle ne compensera jamais ce qui fait réellement problème en France, l’inégalité croissante de la répartition des revenus. D’autre part, ce n’est pas à l’Etat de compenser le surcoût de charges que doivent supporter les travailleurs pour aller à leur emploi. En toute logique économique ce devraient être les employeurs. Mais on imagine bien que la plupart d’entre eux (sauf les supermarchés semble-t-il) seraient bien incapables d’assumer ce surcroît de charges.

     

    Enfin on ne peut pas s’empêcher de mettre les 3,8 milliards d’euros que devrait coûter cette mesure en regard des 4,5 à 5 milliards qu’ont coûté la suppression de l’ISF et l’instauration d’une flat tax, sans retombées très significatives sur l’économie nationale s’il faut en croire les études du très officiel France Stratégie.

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