• par Pierre Marsal

    10 avril 2024

     

    - Le thème de la confiance est omniprésent dans la vie contemporaine.

    En politique : que de fois ces derniers temps, n’avons-nous pas eu les oreilles rebattues par l’évocation de la « question de confiance » au gouvernement et de son fameux article 49 : alinéas 1 ou 2 selon qu’elle était posée par le gouvernement, engageant sa responsabilité (alinéa premier) ou à l’initiative des députés (alinéa 2). En sciences : en 2019, l’Académie des sciences française a été l’hôte de la réunion Sciences 7 avec ses homologues des pays membres du G7, lors de leur 45e sommet, pour évoquer notamment le thème « dialogue et confiance ».

    Etymologiquement ce mot confiance a la même origine que foi, confidence, croyance ou crédit. Avoir confiance en quelqu’un s’est se fier à lui. Le dictionnaire de l’Académie française, dans sa dernière édition, détaille les différentes acceptions de ce terme, commençant ainsi : « Espérance ferme que l’on place en quelqu’un, en quelque chose, certitude de la loyauté d’autrui ». Il poursuit en précisant que c’est aussi un sentiment de sécurité et d’assurance.

    La confiance est indispensable dans les relations interpersonnelles, mais elle peut être dangereuse car elle nous met à la merci de la personne en qui on accorde cette confiance.

     

    - Quelques considérations théoriques

    La confiance étant une disposition d’esprit qui semble tellement aller de soi qu’elle a très longtemps négligée par les sociologues, psychologues ou philosophes. On la confondait par exemple avec la familiarité : on a évidemment confiance en un objet, en un acte familier. Tout comme on faisait peu de distinction entre confiance assurée et confiance décidée. Ce n’était là qu’une nuance due à notre plus ou moins grande capacité à distinguer un risque.

     

    Plus précisément, ce sont deux sociologues et philosophes allemands Georg Simmel et Niklas Luhmann qui ont apporté des précisions sur cette notion. Le premier remarquait que la confiance est attribuée dans des situations intermédiaires entre plein savoir et totale ignorance, de façon variable selon les circonstances, les individus et les époques. Un cas très typique est la confiance en la monnaie, indispensable pour le bon fonctionnement de l’économie.

    Plus récemment, Luhmann, auteur d’un livre éponyme sur ce sujet, a développé une thèse démontrant la complexité croissante de nos sociétés contemporaines. Pour lui la confiance constitue un mécanisme de réduction de cette complexité. Pour ce faire on tire parti de l’information acquise dans le passé pour la projeter dans l’avenir. Comme le fait remarquer Claude Debru, ce processus fait penser à la simplexité chère à Alain Berthoz (2009).

    Un des exemples donné par Luhmann est celui de la mère de famille qui confie son enfant à garder. Elle espère qu’il sera bien traité comme elle le demande. Mais elle ne peut pas tout prévoir. « Sa confiance ne s’étend qu’aux événements dont l’occurrence lui ferait regretter d’être sortie et d’avoir confié son enfant à quelqu’un... La confiance se rapporte donc toujours à une alternative cruciale dans laquelle le dommage lié au bris de la confiance serait plus grand que l’avantage à tirer du respect de la confiance. ». Encore, selon sa formulation, celui qui s’engage dans la confiance assure son futur présent sur un présent à venir.

     

    Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce vaste sujet. Ne serait-ce que pour expliciter ses antonymes, méfiance et défiance (ce dernier est plus large que le premier). Mais tel n’est pas l’objet de cette courte note.

     

    - La confiance aujourd’hui

    La société contemporaine s’étant complexifiée, il était donc assez naturel que la question de la confiance prenne une importance croissante. Est particulièrement concernée la confiance dans les « élites », économiques, politiques, journalistiques ou scientifiques.

    A vrai dire toutes les sociétés ne sont pas également touchées par cette crise de confiance. La France, pays de « Gaulois réfractaires », l’est plus que bien d’autres. Le niveau de confiance y est particulièrement faible : en février 2021, selon une enquête CEVIPOF, 16% seulement des Français feraient confiance aux partis politiques et guère plus aux autres institutions, médias (28 %) et syndicats (32 %). Alors que dans les pays nordiques, Norvège, Finlande, les taux moyens dépassent 60 %. A noter qu’en 2021, 91 % des Chinois déclaraient faire confiance dans leur gouvernement (mais cette enquête de la société Edelman est basée sur une autre méthodologie qui monte un peu la note de la France).

    Chez nous les crises successives des gilets jaunes et de la COVID ont accéléré une tendance déjà notable. Ainsi que la prise de conscience de l’écart qui se creusait entre « premiers de cordée » et « premiers de corvée ». C’est d’autant plus grave qu’elles mettent en cause la compétence et la légitimité des élites de la démocratie représentative. L’enquête de 2024 confirme la défiance politique : 38 % des personnes interrogées font preuve de méfiance politique, indice le plus haut depuis 2009.

    Il ne faudrait pas négliger l’incidence des réseaux sociaux dans cette détérioration de la confiance. L’action des influenceurs, le système d’indexation qui met en avant les informations sensationnelles, simples, voire simplistes, la multiplication des arnaques, le court-termisme avec oubli du passé, biaisent la réalité. Par manque de culture économique et scientifique beaucoup de nos concitoyens n’ont pas l’esprit critique suffisamment développé pour échapper à ces pièges. Ils ont souvent tendance à tirer des généralités à partir de faits isolés. C’est particulièrement frappant en matière de santé, où l’on ignore l’idiosyncrasie humaine c’est-à-dire le caractère très individuel de la réponse d’un organisme vivant à un apport ou à une agression. En effet l’espèce humaine n’est pas « améliorée » par la sélection comme c’est le cas des animaux de rente. Et c’est heureux ! Pour un poulet par exemple on sait à quelques décimales près quelle quantité de nourriture donnera telle augmentation de poids : c’est l’indice de consommation (entre 3,24 pour le poulet en liberté et 1,35 pour le poulet en élevage intensif). Pour un être humain une même quantité et qualité de nourriture peut rendre obèse certains et en amaigrir d’autres.

    C’est ce phénomène qui a pu déclencher l’hystérie anti-vaccinale : ont été montés en épingle de douloureux mais heureusement rarissimes accidents. En occultant le fait que l’immense majorité a pu en bénéficier grandement.

    Claude Debru, déjà cité, a fait un point précis sur la question de la confiance en sciences.

     

     

    Niklas Luhmann, La confiance (un mécanisme de réduction de la complexité sociale), Economica, 2006.

    Claude Debru, Confiance, innovation, progrès, Notes académiques de l’AAF, avril 2021


    votre commentaire
  • par Daniel Soulat

    4 avril 2024

     

    I/ introduction : la volonté est le levier des opérations intellectuelles, quelles qu’elles soient, mais grâce à l’entraînement,  la sensation d’effort diminue et devient plaisir, plaisir de la recherche, plaisir de la réflexion, plaisir de la découverte, plaisir de l’échange et de l’enrichissement mutuel. Ainsi naît le plaisir de se cultiver, et ce plaisir-là est inépuisable.

    Nous allons tenter d’en montrer l’importance, car se cultiver aujourd’hui est à la fois une nécessité, un choix et un but, et d’en tirer des enseignements..

    II/ La nécessité de se cultiver : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » demandait Louis Aragon avec une feinte inquiétude. Peut-être entendait-il par là que les hommes sont les sujets d’une forte pression collective et, au lieu de donner libre cours à leurs dons naturels, ils sont façonnés par la société, un peu comme ces galets roulés et polis sans cesse par le courant de la rivière. Il nous faut réagir, mais comment ? Si nous voulons éviter la mainmise des forces sociales, politiques et économiques sur nos cœurs et nos esprits.

    D’abord la culture pour quoi faire ? C’est ce genre de question qu’on entend très souvent, dans un monde désemparé et désenchanté, qui a perdu le goût de la recherche désintéressée, du savoir gratuit, de l’intérêt sans résultat immédiat. Et pourtant, que peut comprendre l’homme aujourd’hui des mécanismes de l’économie, des problèmes de la civilisation industrielle, du fonctionnement si complexe de la « société de consommation, de la révolution numérique », du mouvement des arts et des sciences, sans un minimum de culture ? Que peut-il saisir des enjeux, si complexes et si lourds, d’un temps si fertile en bouleversements, en nouveautés, en dramatiques évènements, nationaux et internationaux, sans cet esprit d’éveil et de curiosité que favorise une certaine culture ?

    La nécessité est venue, si l’on veut conduire sa vie et gérer son capital intellectuel, de comprendre son temps, de mieux penser pour mieux agir, de mieux agir pour rendre de plus grands services aux autres. Se cultiver, enrichir son esprit, maîtriser le langage, gouverner ses pensées, utiliser ses capacités de réflexion, discipliner son jugement, assouplir ses conceptions, tout cela ne se fait jamais pour soi seul, mais avec le souci d’en faire profiter au moins quelqu’un, sa famille, son entourage ou un groupe de travail.

    Que signifie donc le mot « Culture » ?  Lecture et intelligence ont même racine (legere en latin = cueillir, choisir, lire). Le mot intelligence vient du grec, assembler des lettres, des mots, cueillir (des idées en soi), de comprendre (prendre en soi). On voit le rapport entre culture et intelligence. Le mot culture a plusieurs sens qu’il convient de distinguer, sous peine de confusion ou de vague interprétation :

    • Somme des connaissances acquises par l’étude ou l’expérience, instruction, savoir ;
    • Etat d’un esprit entraîné à la réflexion spontanée ;
    • Attitude d’esprit qui consiste à soumettre toute nouvelle connaissance à la critique ;
    • Capacité de penser par soi-même et d’exprimer une libre opinion sur ses actions et sur celles d’autrui ;
    • Ensemble défini par la langue, la religion, les coutumes, l’avancement des sciences et des arts pour un peuple à une époque donnée (état de civilisation).

    Un jour où l’on demandait à André Malraux, ministre fondateur des Maisons de la Culture, ce qu’il en pensait, il répondit sur un ton désabusé : « La culture ? Elle n’est jamais pour chacun que la volonté de se cultiver. »

    Derrière le mot culture, il y a un idéal, de rapprochement entre tous les hommes de la terre.

    Singulier phénomène : La compréhension du réel décroit à mesure que se développent les connaissances. Nos sens, notre esprit sont sollicités de toutes parts et en permanence, en sorte que, disposant de moyens toujours plus faciles, nous cédons par paresse et par habitude, dans les domaines les plus divers, à ces illusions de connaissances et supportons de moins en moins de n’avoir pas d’opinion sur toutes choses.

    Il n’est plus supportable aujourd’hui d’ignorer quoi que ce soit. Nous devons sur toutes choses avoir des idées faites : le prêt à porter de la culture, malheureusement elles deviennent bientôt des idées arrêtées, une sorte de culture standard, qui gagne peu à peu toutes les couches de la société.

    III/ L’important c’est le choix : Tout choix est un renoncement. Entre tous les livres qu’on souhaiterait avoir lus, toutes les richesses de l’art ou de la nature qu’on aimerait connaître, toutes villes qu’on voudrait visiter, il faut savoir choisir. La lecture est à la portée de tous, comme les conférences. On a les choix suivant ses préférences, entre l’art, l’histoire, la littérature, la science, la philosophie ; l’essentiel est de délimiter le champ de ses recherches, afin d’éviter une dispersion stérile et une connaissance illusoire. C’est la profondeur qui compte, non l’étalement superficiel. Savoir borner ses ambitions est preuve de sagesse et promesse de satisfaction.

    III/ Se cultiver c’est avoir un but : La culture peut être un but pour une société, comme pour l’individu, si elle a pour fin de rapprocher les hommes : ceux qui aiment les mêmes valeurs de l’esprit, qui respectent la même grandeur dans le passé, qui partagent la même foi en l’avenir, se sentent frères en droit et en fait (mêmes propos de André Comte-Sponville dans son livre que le meilleur gagne). A coté ou au dessus d’une Europe qui se cherche, il y a place pour une Europe de l’esprit ; c’est à l’édification de celle-ci que contribue tout esprit cultivé, dans un idéal de solidarité humaine.

    Notre civilisation, qui ouvre de si vastes horizons sur le riche univers des images, des formes et des sons, ne peut se passer du livre, car le livre est la clef de toute culture. « Le mot lecture veut dire choix. Lire, c’est élire, c'est-à-dire choisir. Quand nous lisons un livre, une revue, un journal, la lecture nous oblige à réfléchir, à revenir en arrière pour mieux comprendre, à nous arrêter pour discerner les causes d’un évènement, les données d’un problème, les conséquences d’une situation.

    Savoir réfléchir, c’est toute la culture. « Qu’est-ce que la culture, sinon une perpétuelle remise en question de la condition humaine et des valeurs qui lui donnent un sens ? Un être cultivé n’est pas seulement riches de connaissances, il est ouvert à la compréhension d’autrui et ne désire rien de plus pour lui-même qu’il ne désire pour les autres.

    IV/ Conclusion : Jacques Claret,  l’auteur du livre « Organiser la pensée », sur lequel je me suis inspiré, souligne : " Les éléments indispensables d’un raisonnement, font appel à la logique et à l’intuition et jouent à parts égales. Par ailleurs il évoque qu’avec un peu d’ordre et de logique et une pincée de bon sens, il n’est jamais impossible de désencombrer les magasins de l’intelligence la plus obscure ou d’éclaircir les problèmes les plus ardus. Patience et méthode font plus que révolte ni que rage ", on peut observer la similitude avec " Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage." ; Auteur, Jean de La Fontaine. Source, Le Lion et le Rat.  Maud Ankaoua, dans son livre « Kilomètre zéro », stipule à la fin  "N’essayez pas de convaincre les autres, montrez leur l’exemple, inspirez-les, éclairez-les, c’est en rayonnant que votre lumière guidera leurs pas ".

    V/ Question: Au travers de ce texte, percevez-vous que le café débat s’inscrit dans le domaine de la culture, peut-on  tirer des enseignements qui pourraient nous éclairer ?

     

    Pour mémoire il y a eu un café débat le 9 mars 2015

    Est-ce un devoir pour l’Homme d’être cultivé ?


    2 commentaires
  • par Daniel Soulat

    24/03/2024

     

    I/ Introduction : Un peuple se caractérise par une identité culturelle, différente selon les pays, principalement déterminée par la langue, la religion, les mœurs (manière de vivre, pratiques, us et coutumes, traditions), associées au système de valeurs, de croyances et de ses lois. Ne pas faire de mal à autrui est un principe fondamental commun à toutes les cultures, à toutes les religions, il est indispensable à la vie en société. C’est le bien qui sera évoqué, et non le Bien exprimé dans la religion, le Bien est en général incarné par Dieu.

    Le bien a des définitions multiples, une proposition serait de retenir celle-ci : Le bien est ce qui est l’opposé du mal, il possède une valeur morale qui a de la probité, et de la vertu. Nous aborderons les différentes ‘’Ecoles morales’’ , elles permettent la transmission du bien au plus grand nombre, afin de veiller à l’intérêt public, pour mieux vivre ensemble au quotidien.

     

    II/ Religions: La ‘Règle d'or’ est une éthique de réciprocité, dont le principe fondamental est énoncé sous deux formes, dans presque toutes les grandes religions et cultures : 1- « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse », 2- « Traite les autres comme tu voudrais être traité ». Ces formes de morales universelles se retrouvent aussi bien, dans les préceptes philosophiques de l'Égypte antique et de l'Antiquité grecque (VIIe siècle av J-C) Thalès 1- « Evite de faire ce que tu blâmerais les autres de faire », que dans les religions orientales (hindouisme, bouddhisme, taoïsme, confucianisme...), proche-orientales ou occidentales (judaïsme, christianisme, islam).

     

    III/ Philosophies : La mise en jeu de l’Ethique d’Aristote consiste à faire ce qui est bien. Les Lumières, au XVIIIe siècle appellent  ‘Règle d’or’ 1- « Ne pas faire à autrui ce qu’on ne souhaite pas subir soi-même », et soulignent son caractère universel.

    Pour un épicurien, le bien consiste en un usage raisonné des plaisirs, pour un stoïcien dans l’exercice de la vertu, pour Kant, le bien consiste à agir selon des principes universalisables.

     

    IV/ Constitution 22/8/1795 : Article 2. - Déclaration des droits et devoirs de l'homme et du citoyen : Tous les devoirs de l'homme et du citoyen dérivent de ces deux principes, gravés par la nature dans tous les cœurs : 1- Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît.  2- Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir. Le premier est clairement un principe  de respect mutuel, condition pour vivre en société, le deuxième  est un principe altruiste de base, pour vivre ensemble.

     

    V/ Conditions de réussite : Ne pas oublier que l’on est tous différents mais semblables, ce qu’on aimerait que les autres fassent pour nous, n’est pas forcément ce que les autres aimeraient qu’on fasse pour eux. Il y a donc à prendre en compte la valeur de tolérance et de respect de la différence, la seule valeur qui puisse garantir la coexistence pacifique, en dépit de la diversité des croyances, et permettre l’enrichissement mutuel, cf Claude Lévy Strauss dans ‘La diversité des Cultures’.

     

    VI/ Comment le Sacré est-il passé dans le Profane ? Le sécularisme apparaît comme une tendance à transférer la plupart des valeurs sociales, du domaine du sacré à celui du profane. Il conduit à la désacralisation d'un large domaine d'activités, dont celle de l'organisation sociale. Dans le cadre d’une éthique humaniste, faire le bien c’est agir individuellement et collectivement, de façon à créer les conditions permettant la vie, la santé, la dignité, la sérénité, la liberté, pour chacun. Agir ainsi, suppose une intentionnalité visant à respecter et, si besoin, à défendre les valeurs humaines. Faire le mal c’est l’inverse, c’est détruire intentionnellement l’humanité en l’homme. Le bien, ainsi défini, n'est pas spontané, il demande des actes sous-tendus, par une intentionnalité individuelle, soutenus par des lois et des institutions politiques.

     

    VII/ Le bien et la Liberté : Rappel l’Article. 4. de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen 26/8/1789 « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », ceci est  repris dans La charte des droits et devoirs du citoyen français 2012. Ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme, n'a de bornes, que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. Pour indication l’Article. 5 26/8/1789 - La Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n'est pas défendu par la Loi, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

     

    VIII/ Le bien et le devoir : Quand faire le bien consiste à éviter ou à empêcher que se produise le mal, il constitue une obligation incombant à tous les membres d’une société. L’accomplissement du devoir, est toujours accompagné d’un sentiment de bien être, dans beaucoup de conceptions morales, bien agir et bien être sont en définitive solidaires.

     

    IX/ Le savoir vivre : Nous connaissons le terme « savoir-vivre » sous de nombreuses autres appellations : politesse, civisme, bonne manière, bienséance. Le savoir-vivre est un code, établissant l’adaptation d’un comportement particulier, lors d’une situation précise. C’est un code appliqué depuis que le monde est monde.

    Comment se présente le savoir-vivre ? Chaque pays possède ses propres règles de bienséance. Toutefois, peu importe la culture, chacun se doit de toujours respecter les règles de savoir vivre. Vous devez donc toujours faire preuve de civisme,

    Les règles de savoir vivre : où les apprend-on ? Les bonnes manières s’apprennent dès le plus jeune âge. Les premiers à initier le civisme aux enfants sont leurs parents. À ces derniers d’apprendre leur progéniture à saluer, à dire merci ou à dire au revoir.

     

     X/ La bienséance : Ce qu'il convient de dire ou de faire dans une société.  Elle se définit comme la capacité à se conduire de façon appropriée, dans un contexte social et culturel donné, et à interagir convenablement  avec les autres personnes présentes. La bienséance est prévue d’être apprise aux enfants à l’école, à travers des cours appelés  « éducation civique et morale ». Ces cours apprennent aux enfants à devenir de bons citoyens.

     En droit, les règles de bienséance reposent sur un code de bonne conduite. Elles ne s'imposent que dans les rapports individuels, et traduisent une marque de respect. Elles ne font pas l'objet d'une sanction étatique, mais d'une sanction morale et collective. La société réprouve le non-respect des règles de bienséance.

     Que vous veniez d’un pays de l’Occident, d’Asie ou d’Afrique, il existe des codes communs à toutes les sociétés. Lorsque vous vous trouvez dans une société présentant des normes différentes des vôtres, la bienséance est de faire comme ils font. Voir la charte.

     

    XI/ L’altruisme :  Il se trouve que les philosophes parlent d’altruisme, qu’ils définissent comme le souci désintéressé du bien d’autrui, une motivation dont la finalité est d’accroître le bien être d’autrui, ce qui n’est pas différent de la bienveillance, terme issu du latin benevole, « vouloir le bien de l’autre ». Si nous la pratiquions, tout irait bien en ce monde. Ne sommes-nous pas plus heureux lorsque nous faisons bien les choses, et apportons du bien aux autres ? Il conduit à maintenir notre paix intérieure et à la cohérence avec nos valeurs.

     

    XII/ Pour conclure : Les deux ‘Règles d’or’ (1 et 2) nous encouragent  à faire le bien à tous, et c’est avant tout donner, mais sans rien attendre en retour. Si nous commencions par nous unir autour d’elles, la société et l’humanité s’en porteraient beaucoup mieux, cela passe par la bienveillance, le savoir vivre, la bienséance, le bien agir, et l’altruisme, ensemble  à inclure dans son éthique de vie.

    La définition du bien, semble dépendre de la coutume, de la tradition, de codes, de conventions,  davantage que d’une loi naturelle qui serait commune à tous les hommes, de sorte que l’ambition d’établir des vérités morales universelles, comme il existe des universalités des langages scientifiques ou mathématiques, paraît vaine. Le discernement du bien et du mal est la base de l’éducation pour bien vivre ensemble, ainsi que les valeurs pour construire son parcours de vie, avec l’idée que tous les êtres humains sont égaux en droit et en dignité, mais sans oublier que nous ne sommes pas égaux, ni en fait ni en valeurs.

    L’anthropologue et ethnologue français, Claude Lévi-Strauss faisait à l’UNESCO en 1971, dans son second discours « Race et culture », il mettait en garde d’avoir une uniformisation de la culture au niveau mondial, et soulignait la nécessité de protéger la diversité culturelle.          A condition de s’immerger avec un esprit ouvert, il est possible, sans sacrifier son identité, d’intérioriser une autre culture.

     

    Nota : Comme le dit Abdennour Bidar dans son livre ‘Plaidoyer pour la Fraternité’ : « D’abord voir ce qui nous est commun, avant de voir ce qui nous diffère. Au delà de nos différences, il y a des choses qui peuvent nous rassembler ».

    Ma remarque : Ceci nous  permettrait en premier lieu, de coexister.        


    8 commentaires
  • par Daniel Soulat

    24/03/2024

     

    Introduction : Philosophes, chercheurs, enseignants, experts en communication,  psychanalystes, se penchent sur la pratique de l’humour et du rire. Dans notre époque, on a tendance à confondre toutes les formes de rire et manières de plaisanterie sous le seul dénominateur de l’humour. Cette perte de nuance rend illisible et neutralise les distinctions nécessaires, quant aux différentes variétés qui cherchent à faire rire.

    L’humour se traduit sous différentes formes: Le comique, le burlesque, le trait d’esprit raffiné,  l’ironie, les jeux de mots, blagues, l’autodérision, le sarcasme pour certains, etc. Toutes ces formes d’humour n’ont pas le même sens et ne seront pas perçues de la même manière. On pourra voir en annexe le détail de différentes formes de l’humour et du rire.

    A quoi sert l’humour : A décrire ce qui est, en affectant de croire que c’est bien là ce que les choses devraient être. L’une des premières fonctions de l’humour, est de créer un lien d’humanité entre des individus, qui parfois ne se connaissent pas. La deuxième vertu est sa capacité à dédramatiser une situation en créant une distance, ô combien nécessaire. L’humour a cette vertu extraordinaire de déjouer le tragique. En riant d’une réalité tragique, nous ne modifions certes pas la réalité, mais nous transformons la perception que nous en avons. N’oublions pas qu’il est aussi un outil de remise en question, de contestation du pouvoir, il est une des manières de dire les incohérences de la société, en provocant.

    L’humour a une fonction sociale : L’humour peut se pratiquer avec différentes personnes tant que l’on rit avec l’autre et non de l’autre. De plus l’humour est un facteur d’altérité et de sociabilité, d’autre part il est porteur de messages. Ci-dessous voyons plusieurs récits.

    Récit I : Dans le film « Les grands esprits », Olivier Ayache-Vidal met en scène la confrontation entre deux mondes, et deux réalités sociales, sous forme d’une satire hilarante, avec pour fil rouge : Enseigner dans un prestigieux lycée parisien ou dans un collège d’éducation prioritaire, d’une banlieue défavorisée, est-ce le même métier ?

    Paris, près du Panthéon, dans une salle du temple de l'excellence, le lycée Henri IV, François Foucault (Denis Podalydès), agrégé de lettres et fin latiniste, d'origine privilégiée, revendique des principes intangibles d'enseignement, une autorité incontestable et une forme d'arrogance sans faille. Il est confronté à des collégiens, rétifs à l'autorité d'un maître enfermé dans sa haute idée du savoir, engoncé dans ses certitudes, dépourvue de toute légitimité. 

    En classe un élève se lève, et sans rien demander commence à vouloir sortir. Le professeur lui demande « où vas-tu, retourne à ta place ? ». L’élève reste debout et répond « M’Sieur, je vous jure, j’ai envie de pisser sur la tête de ma mère ». Le prof : « es-tu sûr de vouloir pisser sur la tête de ta mère ? ». L’effet produit est le rire de la classe. Le prof engage une correction grammaticale : « Ne serait-ce pas plutôt : Sur la tête de ma mère, je vous jure j’ai envie de pisser ? ». Le sens corrigé est ainsi obtenu et convaincant.

    Récit II Frédéric Lenoir, dans son livre ‘Petit traité de vie intérieure’ évoque Nasr Eddin Hodja, ce personnage célèbre dans le monde musulman, raconte aux enfants des anecdotes. Les soufis ont d’ailleurs inventé de nombreux contes qui, à travers l’humour, transmettent un message spirituel d’une grande profondeur :

    • Un calife vient de mourir. Alors que le trône est vide, un misérable mendiant vient s’asseoir dessus. Le grand vizir demande aux gardes de se saisir de ce loqueteux qui vient de commettre un tel sacrilège, mais ce dernier répond :
    • Je suis au dessus du calife ;
    • Comment peux-tu dire une chose pareille, s’exclame le grand vizir, stupéfait. Au dessus du calife il n’y a que le prophète ;
    • Je suis au dessus du Prophète, poursuit le mendiant, sans se départir de son flegme.
    • Quoi ! Qu’oses-tu dire, misérable ! Au dessus du Prophète il n’y a que Dieu ;
    • Je suis au dessus de Dieu ;
    • Blasphème ! hurle le grand vizir, au bord de la crise d’apoplexie. Gardes ! Etripez ce fou sur le champ. Au dessus de Dieu, il n’y a rien ;
    • Justement je ne suis rien.

    Cette autodérision et le bon sens, révélés dans un comique burlesque, sont déconcertants, quant à la provocation inconsciente du misérable mendiant.

    Récit III : « Une gare c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. Parce que c’est un lieu où on passe. Parce que c’est un lieu qu’on partage ». Analyse du journal le Figaro : Cette petite phrase d'Emmanuel Macron, prononcée dans le cadre d'un discours sans note et manifestement improvisé, est sans aucun doute une maladresse de langage. Cependant elle révèle une vérité cachée, une arrière-pensée qui dit énormément du Président de la République et de ses habitudes de langage, qui sont aussi et surtout des habitudes de pensée. Et il n'est pas anodin qu'elle ait été prononcée devant un parterre d'entrepreneurs et de «startuppeurs», dans un lieu financé par le milliardaire X. Niel, au sein duquel la compétition règne.

    Pourquoi cette maladresse de langage ? L'habitus managérial (selon  P. Bourdieu est une prédisposition à agir, qui influence inconsciemment notre sens pratique, notamment dans les rapports de pouvoir), a pris le dessus à cette occasion, et l'a amené à formuler une arrière-pensée : Ne pas réussir, au sens économique du terme, c'est « N’être rien ».

    En décembre 2021, interrogé sur ses petites phrases lors d'un entretien télévisé LCI TF1 marquant la fin de son quinquennat, Emmanuel Macron dit regretter particulièrement cette phrase, indiquant : « On ne peut pas dire ça. J'ai cette formule, en effet, qui est terrible, c'est terriblement blessant. J'ai acquis une conviction : il faut bousculer* et donc je reste avec autant de volonté de bousculer le système, mais on ne fait rien bouger si on n'est pas pétri d'un respect infini pour chacun ».

    *Mon observation : A travers la provocation, la personne cherche de la reconnaissance, quitte à prendre le risque d'être mal perçue, en produisant un effet contraire à celui désiré.

    Je citerai André Comte-Sponville,  dans son livre ‘Que le meilleur gagne’ « Il faut tenir bon sur deux plans, l’égalité en droit et en dignité, et sur l’inégalité en fait et en valeurs  (accomplissement de soi incomplet pour certains, et valeurs morales différentes) qui justifient la compétition ». On peut citer : le code civil article 16 interdit toute atteinte à la dignité de la personne. Le principe de sauvegarde de la dignité humaine, protège toute personne contre les actes dégradants ou inhumains, qui pourraient la rabaisser au rang de chose.

    IV Voyons l’aspect psychanalytique, pour savoir ce que cela pourrait révéler ? Freud  était un collectionneur de mots d’esprit, ainsi que d’histoires juives, et il avait un fort sens de l’humour: Dans Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient, il avance l’hypothèse que le mot d’esprit révèle l’emprise inconsciente qui gouverne en sous-main la parole et le langage. On y retrouve également le procédé de déplacement (mécanisme de défense) qui permet de contourner les interdits. On y reconnait le procédé de figuration qui modifie la forme des mots, créant le double sens ou des jeux de mots, transforme la pensée en créant des non sens, en remplaçant une pensée par son contraire. Ainsi deux juifs se rencontrent à proximité d’un établissement de bains : « As-tu pris un bain ? », demande l’un. « Comment, dit le second, en manquerait-il donc un ? ». On voit ici le double sens de « prendre ». C’est en provoquant le rire, qu’il désarme l’Autre. Le rire est une façon de prendre un plaisir interdit, en passant par un détour.

    Freud indique, le mot d’esprit répond au principe de plaisir, offre une face polémique, une pointe plus ou moins acérée qui, dans certaines conditions de réception, vaudra offense, soulèvera indignation ou scandale.  Selon lui, l’humour, peut être conçu comme la plus haute de ses réalisations de défense. Le travail du trait d’esprit suppose une levée de l’inhibition (elle consiste à dire ou à faire quelque chose sur un coup de tête, sans penser à l'avance, à ce que pourrait être le résultat indésirable ou même dangereux). C’est donc contraire au but recherché, qui est de relier les êtres humains.  Il est marqué par sa brièveté, il ne se concocte pas, il ne se prévoit pas, il jaillit à la surprise même de celui qui les énonce, voilà le propre du trait d’esprit.

    Freud résume son approche : Le mot d’esprit comme l’humour jouent d’une libre division intérieure et déjouent la censure préconscient-conscient.  

    Conclusion : L’humour, est un ingrédient essentiel des relations humaines, il rassemble, désamorce les tensions et déclenche des émotions positives. La pratique du langage humoristique et de la provocation usent de la désinhibition, mais attention aux maladresses dues au manque de respect. Dans tous les cas la dignité humaine ne doit pas être atteinte en la rabaissant. Attention au sarcasme voilé inconscient, sorte de pression psychologique, il est donc une forme de rire d'emprise. Dès lors prévoir l’humour comme outil de la pédagogie pour les enfants et les principes fondamentaux de l’humour : La bienveillance et le respect de l’Autre. 

    Annexe  

    Comique : Qui fait rire, il existe plusieurs sortes de comiques ;

    Comique de situation : repose souvent sur un quiproquo : deux personnages comprennent les mots dans un sens différent.

    Le comique de gestes. C'est l'attitude même du personnage qui fait rire, avec ses gestes et ses mimiques (grimaces, coups de bâton, chutes...).

     Le comique de répétition. ... est une technique de narration faisant appel à une blague ou à une référence comique qui revient plusieurs fois de suite, sous la même forme ou sous une forme légèrement modifiée.

     Le comique de mots. ... Le personnage fait rire le public tout en parlant et exploite les ressources du langage : répétitions, jeux de mots, calembours, déformations, accents, …

     Le comique de caractère : exagère les défauts humains. Il est fondé sur la psychologie des personnages qui prêtent à rire ;

     Aujourd’hui vulgarisé, le comique se trouve dans les situations burlesques et les quiproquos (erreur qui consiste à prendre une personne, une chose pour une autre, malentendu qui en résulte, des quiproquos comiques) de la vie quotidienne.

    Burlesque : se dit aujourd’hui couramment pour désigner un comique exagéré, extravagant qui repose généralement sur un décalage entre la tonalité et le sujet traité dans un texte ;

     L’ironie « action d’interroger en feignant l’ignorance, manière de se moquer de quelqu’un ou de quelque chose en disant le contraire de ce que l’on veut entendre »,

    La moquerie est le langage du mépris, citons des extraits de Les caractères ou les mœurs de ce siècle de Jean de La Bruyère : «  la moquerie est souvent indigence d’esprit » ; « la moquerie est de toutes les injures celle qui pardonne le moins ».

    Le mot d’esprit est un jeu inconscient de l’esprit sur le langage, qui provoque une satisfaction particulière, et qui  comporte un rôle particulier dans la vie psychique.

    Le mot d’esprit ou trait d’esprit, il est une réplique fine et subtile, pas toujours bien intentionnée. Wikipédia Exemple : Au roi Louis XVI qui dit à Rivarol : – On raconte que vous faites des mots d'esprit sur tout. Faites-en un à mon sujet, ce dernier répond : – O Sire, le roi n'est pas un sujet.

    La satire est caractérisée comme un genre littéraire qui s’attaque à quelqu’un pour s’en moquer, une représentation critique et comique cinglante d’un défaut, d’un vice, d’un mensonge ou d’une injustice. Arme dangereuse et redoutable d’un double point de vue, la satire peut meurtrir, voir susciter le mépris à l’égard de la personne visée, comme elle peut aussi porter préjudice à son auteur. Ds Je pense que cela qualifie le film les grands esprits ;

     La dérision renvoie à une pratique négative et critique. Elle n’est pas une plaisanterie inoffensive. Elle vise une cible qu’elle cherche à toucher et ce but est atteint lorsqu’elle blesse, rabaisse, humilie. La dérision caractérise un refus de soumission. La dérision porte une dimension de contestation, de remise en cause de l’ordre établi, ou avec les normes sociales largement acceptées dans une société, notamment les rapports de pouvoir. La dérision exprime alternativement, voire simultanément, le comique et le tragique. 

    L’autodérision : fait de se moquer de soi-même ;

    Le sarcasme est une moquerie ironique, une raillerie tournant en dérision une personne ou une situation. Il peut être considéré comme une forme d'ironie piquante ou belliqueuse.  Quora.com 20 Que dit l’utilisation du sarcasme sur la personnalité de quelqu’un ? Le sarcasme est une forme d’agression verbale utilisée pour masquer sa propre nature compétitive. C’est une personne sarcastique qui veut et a besoin d’élever socialement son statut en dévaluant quelqu’un d’autre. Certaines personnes pensent que le sarcasme est drôle.

    Le sarcasme n’est pas de l’humour

    Citation d’Edgar Morin : « Le monde des intellectuels qui devrait être le plus compréhensif, est un monde gangréné par l’incompréhension, par l’hypertrophie de l’égo, le besoin de consécration, et la soif de gloire ». Cf La Méthode, Ethique 2004

    Comme le disait Pierre Desproges :  "On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde"


    1 commentaire
  • par Pierre Marsal

    21/03/2024

     

    Les événements vont vite. Depuis la rédaction du premier billet en décembre 2023, bien des choses se sont produites. En particulier la multiplication des programmes et logiciels dédiés à l’IA générative, leur emploi étendu à tous les secteurs de l’activité, encore qu’ils existassent déjà dans de nombreuses applications informatiques (correcteur d’orthographe, reconnaissance et commandes vocales), la propagation de leur emploi après du grand public (les applications pour ordinateur ou mobiles multifonctions se généralisent et se banalisent).

    C’est une révolution que certains comparent à l’invention de l’écriture. C’est-à-dire qu’elle serait susceptible de bouleverser le devenir de l’humanité. L’antique concept  de paradigme, rajeuni par le philosophe et historien des sciences Thomas Kuhn, et dont on abuse de nos jours, pourrait être légitimement repris pour décrire la situation. On est effectivement là en présence d’un modèle de pensée, d’interprétation et de création nouveau. Comme le fut le monde post-newtonien. De même que la mécanisation a en partie libéré l’être humain de travail physique, cette innovation peut l’aider, le libérer, voire se substituer à lui, dans son travail intellectuel et dans l’acte de création. On pourrait multiplier les exemples : créer des œuvres musicales à la manière de Mozart, des œuvres picturales qui portant l’empreinte de Léonard de Vinci. Il y a peu de limites !

     

    Comme toute innovation majeure elle porte en elle ses bénéfices et ses dangers. Sur ce dernier point il y a profusion de déclarations et d’écrits qui les pointent (désinformation, manipulation, discrimination, atteinte à la vie privée, à la propriété intellectuelle, aux droits d’auteur, à la confidentialité des données, creusement des inégalités, pertes d’emploi, cyber-sécurité, « hallucinations », etc.) et qui préconisent des garde-fous.  Tout le monde s’en préoccupe et, pour une fois, les autorités, nationales comme européennes, semblent ne pas avoir pris trop de retard sur l’événement.

    Plus précisément, les éducateurs, les philosophes, les éthiciens, les sociologues... s’interrogent : quel sera à l’avenir l’homo intelligentiae artificialis (pardon pour ce néologisme) ?

     

    Passons rapidement sur toutes les incidences que cela peut avoir sur l’économie. Sur le marché du travail (nouvelle avancés en matière d’automatisation, disparition et créations d’emploi, remise en cause des compétences), sur la productivité, sur la répartition des richesses, sur les inégalités... Plus importante peut-être pour le proche avenir, bien que peu souvent abordée, semble être son incidence sur le système économique.

     

    Fin 2022 lorsque fut lancé dans le public la première version de Chat-GPT, elle était accessible gratuitement à tous, comme l’est toujours Wikipédia. On l’utilise encore dans les mêmes conditions. D’autres comme Bard, devenu Gemini, fonctionnent selon les mêmes principes, celui des programmes open source librement utilisés et diffusés. Ils ont donc toutes les caractéristiques des biens communs, ce qui nous renvoie à notre séance du 26/01/2023 (N’y a-t-il d’autre choix qu’entre l’étatisme et le néolibéralisme ?)

    https://sites.google.com/site/enseignementphysiqueclassique/n-y-a-t-il-d-autre-choix-qu-entre-l-etatisme-et-le-neoliberalisme

    Aucune discrimination donc n’est faite entre les utilisateurs. Pourtant des nouvelles versions, plus sophistiquées et payantes sont mises progressivement sur le marché. Cela peut se comprendre eu égard au coût fantastique du développement de ces programmes. Par ailleurs de grandes entreprises, publiques comme privées, conçoivent des programmes d’IA spécifiques pour leurs besoins propres. De plus en plus la sélection se fait par l’argent : l’IA générative devient donc un bien privé avec toutes les caractéristiques que cela implique, notamment l’exclusivité. Les entreprises les mieux dotées en capitaux vont en tirer un avantage concurrentiel.

     

    Ainsi donc, comme le remarque le philosophe Pascal Chabot, l’IA ne fait que manipuler du langage (au sens large du terme), bien commun gratuit de l’humanité, mais aboutit à la marchandisation du langage. Jusqu’à présent « tout a été acheté sur cette planète, des animaux à l’eau, de la force de travail au temps ». Ne restait que le langage. Maintenant c’est fait. « Si les mots ne sont plus de provenance humaine, rien n’empêche de les monnayer ».

     

    C’est donc le triomphe de l’économie capitaliste qui, progressivement, privatise ce qui ne l’était pas encore. Ce que d’aucuns qualifient de capitalisme linguistique.

    On doit ce concept au linguiste et sociologue Robert Phillipson. Il expliquait ainsi l’utilisation du langage comme ressource économique et outil de pouvoir. Ce n’est pas nouveau : marques et slogans publicitaires protégés, traduction automatique payante. Il en va de même avec la maîtrise d’une langue dominante qui donne au locuteur un pouvoir de négociation supérieur (à noter que Marx déjà évoquait le pouvoir du langage de la classe dominante, comme outil pour asseoir sa domination).

    Ce marché linguistique n’est pas récent. Déjà Google avait fortune en mettant en place un système d’enchères payées en fonction du nombre de requêtes sur des mots clés renvoyant à des publicités d’entreprises.

     

    Le concept de capital linguistique n’est pas sans évoquer le capital culturel, lié à l’origine et au milieu social des individus qui pérennisait les inégalités. Les codes linguistiques en faisaient partie (Ce que parler veut dire, 1982).


    4 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires