•  par Benoît DELCOURT

    le 11 janvier 2021

     

    L’attitude choquante de Trump sonnerait-elle la fin du libéralisme ?

    Ce libéralisme, dans sa version pure et dure, a commencé avec Reagan, le champion de la dérégulation. Il fallait libérer les personnes qui pouvaient le plus apporter à la société, et notamment baisser les taxes qui pesaient sur eux. Le problème, c’est que si cela a bien aidé des entreprises qui le méritaient, et a poussé un peu plus les gens à se remuer, cela a aussi favorisé des margoulins, qui eux, n’ont pas vraiment aidé le pays. Parmi ces margoulins, il y avait tous ces concepteurs des subprimes de 2008, véritables escrocs, et plus récemment Donald Trump, dont la feuille d’impôt n’a jamais pu être publiée, et pour cause.

    De plus cette dérégulation est arrivée au moment où naissait internet, qui a pu ainsi grandir sans aucune régulation. On en est arrivé aux « vérités alternatives », et à une crétinisation impressionnante d’une moitié du bon peuple américain, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.

    La progression des présidents Américains du « GOP », Reagan, W.Bush, Trump, vers moins de règles est impressionnante. Il faut de façon urgente, selon moi, remettre des régulations, et notamment dans les « réseaux sociaux ». Par exemple punir sévèrement les « fake news », ce qui doit être finalement assez simple à faire en utilisant la justice (mais la justice aux USA laisse beaucoup à désirer). Et aussi s’occuper des plus pauvres, qui sont en ce moment bien trop livrés au bon vouloir des âmes charitables. Ce serait tout simplement la fin du libéralisme, au moins de celui qui ne veut aucune règle...

     


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  • par Jean-Jacques VOLLMER

    7 janvier 2021

     

    Ce n'est pas la première fois que nous parlons d'intelligence artificielle au Café-Débat, ni de transhumanisme, ni de conscience. Pourtant, je dois réagir au dossier de « Sciences et Avenir-La Recherche » de décembre 2020 intitulé : « L'IA au service de l'intelligence humaine », et plus spécifiquement sur un point.

    Catherine Pelachaud, qui est Directrice de Recherche au Laboratoire ISIR (Institut des Systèmes Intelligents et de Robotique) affirme péremptoirement, comme beaucoup de scientifiques d'ailleurs et comme un nombre très élevé de personnes « ordinaires », que jamais un robot, aussi évolué soit-il, ne pourra éprouver d'émotions, ni être conscient comme le sont les êtres humains. D'après elle, tout cela n'est que « simulation », c'est à dire qu'on leur a appris à « faire comme si », même si leur comportement devient indiscernable de celui d'une « vraie » personne. Qu'on ne s'y trompe pas, je pense à peu près comme elle, même si je suis plus prudent, car on ne peut vraiment pas juger aujourd'hui de ce que sera la science et la philosophie de demain. Mais ce qui m'agace quelque peu, c'est qu'elle n'essaie pas la moindre justification de ce qui n'est qu'une opinion fondée uniquement sur son statut de scientifique, assimilé à une supposée rationalité universelle. Tout cela provient finalement de la croyance que l'Homme est plus qu'un simple assemblage fonctionnel de molécules, et plus encore, que l'Homme ne peut créer quelque chose qui le dépasse.

    Le deuxième point qui me fait réagir, sans polémique cette fois, c'est que je me demande bien quelle est la différence entre une vraie émotion et une émotion simulée, si personne ne peut distinguer l'une de l'autre. Si on se réfère à la personne humaine, on dit souvent que le « moi » objectif, la seule réalité, réside dans ce qui transparaît au travers de nos actions et qu'on peut observer, et non dans un espèce de « moi » virtuel qui constituerait notre personnalité profonde non exprimée. Pour revenir à des concepts plus philosophiques, c'est l'existence qui définit l'essence, et non le contraire. Transposé au domaine de la robotique, rien ne peut infirmer qu'un réseau de neurones numériques de grande taille constituant le « hardware », programmé par apprentissage comme le fait un enfant dès sa naissance, ne pourrait acquérir un semblant de conscience.

    Et dernier point justement, le problème de la conscience. Il faudrait y revenir en détail, car j'ai beau tourner et retourner ce concept dans ma tête, je n'arrive pas à le définir et je n'ai trouvé nulle part de définition claire ni convaincante. On en est toujours à la tautologie : « La conscience, c'est d'abord la conscience de soi » ou encore : « La conscience, c'est avoir la connaissance de ses pensées ». On tourne en rond, et ce n'est pas parce que les cherheurs ont trouvé paraît-il les zones du cerveau où se manifeste cette conscience qu'on est plus avancés. C'est pourquoi je me demande bien pourquoi un robot n'arriverait pas à être conscient, puisqu'on ne sait pas ce qu'est la conscience...

    http://discussions.eklablog.com/la-conscience-morale-a49295888

    http://quentin-philo.eklablog.com/la-technologie-va-t-elle-changer-la-nature-de-l-homme-a118981596

    http://quentin-philo.eklablog.com/qu-est-ce-que-la-conscience-morale-a47606485



     


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  • par Pierre MARSAL

    5 janvier 2021

     

    Historiquement la vaccination (ou inoculation) a été découverte par Jenner pour la variole à la fin du dix-huitième siècle (Pasteur était plus un aventurier de la biologie, un autocrate, qu’un véritable savant). Mais c’était connu empiriquement depuis longtemps. C’était l’idée de « guérir le mal par le mal » : l’antique mithridatisation par exemple. Cela fait partie de la « théorie des signatures » qui cherchait des correspondances entre tous les éléments de la nature et que l’on trouvait dans les médecines de Paracelse, dans l’alchimie, et qu’on retrouve encore aujourd’hui dans des pratiques soi-disant médicales comme l’homéopathie.

    La vaccination est fondée sur des bases scientifiques plus consistantes. C’est une propriété commune à tous les animaux (les végétaux ont des mécanismes de défense différents mais tout aussi fascinants). Tout corps étranger venant agresser un organisme vivant (antigène) engendre des substances qui viennent neutraliser son action toxique (anticorps). A la naissance nous avons déjà un stock de ces anticorps innés et les bébés, toujours en proie à divers bobos, n’arrêtent pas d’en fabriquer. En cas d’agression brutale, violente, inconnue, notre organisme fabrique de nouveaux anticorps, mais cette génération peut être insuffisante ou trop tardive. La vaccination a pour but d’accélérer et de rendre plus efficiente cette réaction en présentant à notre organisme des leurres, genre canada-dry, qui ressemblent à l’agresseur potentiel mais en moins méchant. Notre organisme réagit de deux façons : en fabriquant des globules blancs tueurs (lymphocytes T) et des anticorps (produit par les lymphocytes B) qui reconnaissent les antigènes et se collent à eux pour les paralyser.

    Il existe de très nombreux types de vaccins (au moins une dizaine : à virus inactivé ou atténué, à protéines recombinantes, vecteurs viraux, etc.) fondés sur le même système : prendre et manipuler tout ou partie du virus pathogène et injecter ces produits protéiques rendus inoffensifs afin de stimuler le système immunitaire et lui faire produire les anticorps ad hoc. Ce qu’il y a de nouveau avec les vaccins à ARN c’est qu’ils pénètrent directement dans nos cellules pour obliger celles-ci à produire elles-mêmes les protéines nécessaires au déclanchement de la réponse immunitaire en cas d’attaque par le virus. C’est bien plus facile à cibler, en principe beaucoup plus efficace, beaucoup plus facile à fabriquer quand on connait les séquences du virus auquel on veut s’attaquer. Mais aussi plus fragile, sans doute plus fatigant pour nos cellules qui doivent produire tout ça. En contrepartie, aucun adjuvant n’est nécessaire, comme ces sels d’aluminium contestés par certains, sans raison bien fondée.

    Et surtout il y a beaucoup d’inconnues.  C’est la première fois que cette thérapie est utilisée chez l’homme (mais déjà utilisée en médecine vétérinaire) : on n’a pas de recul pour connaître les éventuels effets indésirables. En particulier, puisqu’il n’y avait pas de personnes de plus de 80 ans dans les volontaires des phases I, II et III, quid pour les petits vieux comme moi ? Les pensionnaires des EHPAD serviront ils de cobayes ? Mais ce que beaucoup redoutent (mon pharmacien par exemple) ce sont les effets éventuels sur le génome humain, des sortes de thérapies géniques incontrôlées. Il faut donc être clair sur ce sujet.

    Il faut rappeler que notre génome est constitué de 23 paires de chromosomes, chacun fait d’une molécule d’ADN. Chaque ADN porte les gènes (entre 20 000 et 25 000 chez les humains) qui, en quelque sorte, constituent le « programme » (ce n’est qu’une métaphore) dont dépend notre fonctionnement. Pour que ce programme soit exécuté il faut qu’il soit transmis aux « ouvriers » qui font fonctionner la machine : c’est le rôle de l’ARN, plus exactement de l’ARNm (m pour messager) qui copie les instructions inscrites sur l’ADN et va les porter aux ribosomes, véritables « usines » de fabrication de toutes sortes de protéines, situés dans le cytoplasme de nos cellules.

    C’est donc ce que fait notre vaccin : l’ARNm au lieu de venir du noyau central vient de la piquouse. Mais pour cela il a fallu qu’il pénètre dans la cellule : tout nu il aurait été détruit par nos anticorps natifs comme n’importe quelle protéine étrangère. Alors on utilise une astuce : on l’enrobe dans une nanoparticule huileuse, ce qui fait que, ni vu ni connu, il pénètre dans les cellules du muscle dans lequel il est injecté. Et il va faire bosser les ribosomes.

    Ce que craignent certains c’est que cet ARNm viral ne se contente pas de cela et qu’il aille jusque dans le noyau et modifie l’ADN des chromosomes. Ce serait la cata pour certains : un être humain génériquement modifié ! En fait le risque est anecdotique. Il faudrait une autre enzyme (la transcriptase inverse, pour les initiés) qui retranscrive cet ARN en ADN et le fasse pénétrer dans le noyau de la cellule. C’est théoriquement possible car il existe des tas de vieux vestiges d’anciens rétrovirus dans les cellules, mais ils sont inactifs depuis longtemps. Ou si on injectait le virus du SIDA en même temps ! Et même dans ces cas extrêmes il y a peu de chances que cela fasse beaucoup plus de dégâts que ces mutations permanentes que nous subissons tous quotidiennement : dans les premiers instants de leur naissance deux jumeaux ont déjà de petites différences génétiques. On estime par exemple qu’une cellule reproductrice a une probabilité de 1/10 pour qu’elle ait subi une mutation spontanée (le plus souvent récessive donc sans incidence directe marquée sur la descendance directe).

    Qui plus est, en admettant même que de telles mutations s’installent durablement, elles demeureront strictement limitées aux cellules des muscles où se fera l’injection, sans possibilité de se répandre ailleurs. En tout cas pas vers les organes de la reproduction et donc elles ne seront pas transmissibles.

     

    Au total :

    - d’un point de vue individuel il y a sans doute un petit risque à se faire vacciner (mais on n’a aucune idée de la nature de ce risque et de son importance), mais c’est vrai pour tout acte médical ;

    - d’un point de vue collectif, il y a un très grand intérêt à le faire ;

    - pourtant subsistent encore beaucoup d’inconnues : durée d’immunisation, contagiosité après vaccination, compatibilité entre vaccins en cas de revaccination…

    Tenant compte de tout cela, par civisme donc, je me ferai vacciner dès que possible, sous réserve d’informations nouvelles qui pourraient inciter à la prudence.

    Dernière question : les responsables politiques et sanitaires doivent-ils donner l’exemple ou bien ne pas bénéficier de passe-droit privilégié ?

     

    Mais ne soyons pas dupes non plus : les vaccins à ARN (ou à ADN) c’est l’avenir, la poule aux œufs d’or des grands labos. On va sans doute assister à une explosion de ceux-ci qui remplaceront les vaccins plus classiques. Dans notre système capitaliste c’est tout de même le « pognon de dingue » qui guide le bal : pourquoi toujours pas de vaccin contre le SIDA ? Peut-être parce que la trithérapie fonctionne et génère de la thune.

     

     


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  • par Benoît DELCOURT

    16 décembre 2020

     

    Le problème des restaurants et des bars, c’est qu’il est pratiquement impossible de vérifier que les règles de sécurité (les fameux gestes barrière) y sont appliqués. Une bonne partie de la population ne croit pas à l’efficacité de ces gestes, pourtant démontrée dans les pays asiatiques. Et de plus manger et boire avec un masque est impossible.

    Mais tel n’est pas le cas des théâtres et cinémas. Leur réouverture, en dehors des heures de couvre-feux, nécessiterait une distanciation raisonnable : une rangée de fauteuils sur deux vide, deux mètres entre les groupes familiaux et masque pour tout le monde. Ces mesures sont très faciles à vérifier: il suffit d’une seule vérification pendant le spectacle. En cas de manquement aux règles, c’est la fermeture administrative, ce qui encouragera les directeurs d’établissement à y regarder de très près. Pour ce qui est des musées, la sécurité pourrait être assurée par le gardien présent dans chaque salle.

    Je fais partie d’un groupe religieux qui se réunit une fois par semaine. Je peux certifier que les règles y sont scrupuleusement appliquées, et qu’il y a une surveillance permanente. Alors pourquoi ce qui est permis aux cultes serait-il interdit à la culture ?

    Messieurs mesdames du gouvernement, réouvrez ces lieux de culture, dépêchez vous, Noël approche, et cela profitera aussi bien aux acteurs de ces lieux, qu’aux spectateurs !.

     

     


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  • par Pierre MARSAL

    1er décembre 2020


    La conjonction de ces deux expressions du président Macron1, résume bien la situation économique et financière présente. Pour faire face aux conséquences générées par la pandémie virale actuelle, des flots de « pognon », apparemment créés ex nihilo, se déversent sur les acteurs économiques. D’où vient cette monnaie qui n’existait pas auparavant ? Quelles sont et seront les conséquences de son injection dans l’économie nationale ? Telles sont les questions qui se posent aujourd’hui et qui se résument ainsi : quid de l’endettement ?

    Il a souvent été question de l’endettement dans notre « Café-Débats ». Cela a souvent déclenché avis contradictoires et passions. Ainsi, au lendemain de la crise due aux subprimes, le 13 janvier 2010, une intéressante discussion s’était instaurée sur le thème « Nos enfants vont-ils rembourser la dette ? »2. Dix ans après, cette question se pose avec encore plus d’acuité.

     

    Il n’est pas question ici de synthétiser tout ce qui se dit et s’écrit à ce sujet. D’ailleurs une liste de références (articles, revues, livres, vidéos) serait plus longue que le corps de ce petit article. Pas question non plus d’accumuler trop d’informations chiffrées. D’ailleurs les chiffres évoluent d’un jour à l’autre. On se contente de résumer les données essentielles, les principaux enjeux et les questions qui se posent.

     

    Rappelons seulement quelques éléments : à la fin de 2020 on s’attend à une dette de l’ordre de 120 % du PIB (140 en Italie), alors que le Pacte de Stabilité et de Croissance européen (PSC), révisé en 2005, impose aux Etats membres de l’UE de ne pas dépasser 60% (en 2009 nous avions dépassé les 70%). Autre critère, celui du déficit des dépenses publiques : elles ne devraient pas outrepasser les 3% du PIB, et elles seront supérieures à 11% ! Scandaleux ? Que non. Il faut se méfier d’un soi-disant bon sens, dicté par l’orthodoxie de l’annualité budgétaire : tout dépend de l’usage qui est fait des dépenses engagées. S’il s’agit de dépenses nécessitées par des investissements productifs, il n’est pas rédhibitoire que les engagements dépassent les ressources annuelles. Un comptable dirait à juste raison que c’est une aberration de vouloir comparer un stock (celui de la dette) à un flux (le revenu qui se renouvelle chaque année). Une autre fausse évidence, de même nature, voudrait qu’au niveau global la somme des dettes annuelles ne dépasse pas la valeur totale de la production. Or la dette totale mondiale est trois plus élevée que le PIB (précisément 322% en 2019 ; quelle sera-t-elle en 2020 ?).

     

    Du côté des pouvoirs publics, les choses sont claires : d’une façon ou d’une autre cette dette sera remboursée. On ne peut pas attendre autre chose des responsables politiques. Dire le contraire serait catastrophique : aucun investisseur n’accepterait de nous prêter de l’argent, ou bien il exigerait des taux d’intérêt exorbitants, alors qu’aujourd’hui ils sont quasi nuls. Car, depuis une loi de janvier 1973 et surtout depuis le traité de Maastricht de 1994, le Trésor public ne peut plus emprunter auprès de la Banque de France. Cela évite de faire fonctionner trop généreusement la « planche à billets » génératrice d’inflation. Mais cela fait surtout les « choux gras » des investisseurs privés qui prêtent à l’Etat et perçoivent pour cela des intérêts.

    Rembourser d’accord, mais quand et comment ?

    Evidemment il n’est pas question (officiellement du moins) d’augmenter les impôts, d’autant plus que, du fait de la contraction de l’économie, l’assiette des prélèvements s’est fortement rétrécie (par exemple, le PIB a diminué de 4,3% sur un an au troisième trimestre de 2020, dernier chiffre officiellement connu). Et, en tout cas, le montant de la dette représente plus de dix fois le montant de l’impôt sur le revenu. D’autant plus que tout porte à croire que cette dette va continuer à croître : après le gros « coup de pouce » donné financièrement à tous les secteurs de l’économie en 2020, il n’est pas pensable de ne pas continuer en 2021, 2022… tant que l’économie n’est pas revenue à son état « normal ».

    Alors ? Rembourser plus tard, c’est-à-dire faire payer nos enfants, nos petits-enfants ? Compter sur un hypothétique rebond de la croissance ? Lequel, quand, comment ? Et pourquoi consacrer ce surplus, s’il existe, à rembourser de vieilles créances plutôt que d’investir pour l’avenir, ne serait-ce que pour relever le défi climatique dont les besoins sont immenses ?

    A toutes ces questions, pas de réponse claire et précise : il est urgent d’attendre !

     

    Qui paie ses dettes s’enrichit-il ?

    Le fameux bon sens populaire est là encore pris en faute. Le cas d’Haïti est emblématique : pendant 150 ans ce malheureux pays, colonie jadis riche et profitable, a dû s’acquitter sans défaillance de la dette que lui avait imposée la France de Charles X pour prix de son indépendance. Aujourd’hui il est l’un des plus pauvres du monde (173e / 193 en termes de PIB/habitant, source FMI 2020).

    Car il y a dette et dette. Certaines seraient des dettes illégitimes (ou odieuses). C’est un concept assez récent, pas admis de tous (y compris des altermondialistes qui le considèrent curieusement comme « trop libéral »). Entrent dans cette catégorie les dettes contractées sous contrainte ou contre l’intérêt des populations locales (p. ex. dictatures militaires). Plusieurs institutions, de statut différent, s’efforcent tant bien que mal à porter remède à ces situations souvent dramatiques : le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes du Tiers-Monde (CADTM) ou le Club de Paris, un groupe d’une vingtaine de pays créanciers. De petites renégociations sont possibles

    Quant aux pays qui décident unilatéralement de s’affranchir de dettes qu’ils estiment insupportables, ils courent de grands risques. Ce fut le cas de la toute jeune Union soviétique qui, à sa naissance en 1917, répudia toutes les dettes souscrites sous le régime tsariste (les fameux emprunts russes), dettes qui avaient en grande partie financé la politique militaire expansionniste russe et les conséquences de la calamiteuse guerre russo-japonaise de 1904-1905. Il en est résulté une intervention plus ou moins active des puissances occidentales contre les « Rouges » au profit des « Blancs » (p. ex. occupation d’Odessa par les Français en 1918-19). Cela explique sans doute en partie la paranoïa du nouveau régime et sa dérive vers une sanglante dictature.

     

    Et où est la limite de l’odieux ? Dans les années 1970-80 les pays du tiers-monde ont vu leur dette exploser (dettes en dollars, taux d’intérêt s’envolant) les conduisant de fait à rembourser un montant plusieurs fois supérieur à celui de leur dette initiale. Pour tenir leurs engagements, ils ont dû passer sous les fourches caudines des « Programmes d’ajustement structurel » du FMI et de la Banque Mondiale, les obligeant à pratiquer des politiques d’austérité et à brader leurs ressources nationales. Certains ne s’en sont pas remis.

     

    Alors que faire ?

    Rembourser ? Ne pas rembourser ? Les points de vue divergent ainsi que les solutions. Pour certains, « orthodoxes », rien ne se perd, rien ne se crée : annuler une dette c’est seulement en faire porter le poids sur un autre ; c’est aussi un mauvais signal adressé aux prêteurs éventuels qui pourraient s’inquiéter. A quoi il est répondu qu’il n’y a aucun risque de ce côté aussi longtemps que la Banque Centrale Européenne (BCE) acceptera de racheter toutes les créances des banques et institutions prêtant aux Etats.

    Oui mais, objectera-t-on, pour racheter ces obligations émises par les Etats et détenues par les institutions financières, la BCE créera de la monnaie et s’il n’y a pas de limite à ces achats c’est la porte ouverte à l’inflation. Et puis où la BCE prendra-t-elle ces euros ? La première réponse est que jusqu’à présent il y a peu d’inflation, et même pas assez, puisqu’une des principales missions de cette institution est de maintenir ce taux à 2%. S’il en allait autrement, elle aurait la capacité de couper le robinet à crédits. Et puis la BCE est une institution à part : les euros qu’elle crée ne lui coûtent rien et elle ne les doit à personne : elle les crée par un seul jeu d’écriture dans son bilan.

    Ce qui est créé par un jeu d’écriture pourrait être effacé par un autre jeu d’écriture sans qu’il ne lui en porte préjudice. Ni à quiconque. D’où l’idée que beaucoup défendent : il faut effacer la dette. Evidemment pas les dettes détenues par les prêteurs du marché qui seraient spoliés, mais celles rachetées par la BCE.

    Totalement, partiellement ? Diverses modalités sont proposées. L’effacement de ces dettes permettrait d’en contracter de nouvelles qui, elles, permettraient d’investir massivement. D’autres méthodes peuvent être envisagées (la dette perpétuelle, le « roulement » de la dette par exemple).

    Le problème est que les « orthodoxes », même le gouverneur de notre BDF, demeurent ancrés, sans doute par posture, sur des concepts d’une méthode comptable que beaucoup considèrent à juste raison comme obsolète. Il est de fait que cette comptabilité « de grand-papa » a beaucoup de carences qui impactent lourdement la vie politique et économique actuelle (disparité de traitement du travail et du capital, non prise en compte de la valeur des biens communs, et.). Ce sont les comptables et non les politiques, les juristes ou les économistes, qui dirigent la planète ! Tout ceci devrait être réformé. Mais c’est un autre débat.

     

    Pour conclure il faudrait renvoyer à l’ouvrage magistral de David Graeber, tout récemment disparu (Dette : 5000 ans d’histoire, Les liens qui libèrent, 2013, 624 p.). Il y démonte toute la logique et l’illogique d’un système qui s’est construit au cours des siècles. Il souligne par exemple la sagesse des souverains babyloniens qui, confrontés aux troubles à l’ordre social engendrés par les écarts croissants entre créanciers et débiteurs, effaçaient régulièrement dans de grandes occasions les dettes publiques.

    Et, pour en finir et pour faire un lien avec un précédent billet, notons que « l’usine à gaz » (aux tuyaux percés) montée par les Pouvoirs publics pour compenser la perte de revenus de certains du fait du confinement aurait trouvé une solution simple si un revenu universel avait existé.

     

    1Pourtant le même Président déclarait en 2018 à de professionnels de santé se plaignant de leur manque de moyens : « Il n’y a pas d’argent magique ».
    2http://quentin-philo.eklablog.com/nos-enfants-vont-ils-rembourser-la-dette-a47606413

     


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